Pignon (Édouard) (suite)
Après la Libération, il se met à peindre par séries de thèmes qui se suivent et se recoupent : ainsi les Catalanes (1945-46) et les Remailleuses de filets (1946), monumentales et statiques, d’une conception formelle voisine de celle de Picasso*, avec qui il se liera d’une profonde amitié. Sa manière de travailler s’est précisée à Ostende durant l’hiver 1945-46, mais les toiles qui naissent de l’observation des pêcheurs dans leurs bateaux, bien qu’animées d’une sorte de balancement léger, demeurent encore très construites (1947-1949). De son séjour dans le Midi en 1950 datent la première rencontre de Pignon avec l’olivier, qui restera l’un de ses sujets de prédilection, et la découverte d’une de ses idées majeures : supprimer toute distance entre le peintre et le thème qu’il développe, et du coup, si possible, entre le spectateur et la toile (Oliviers de 1957-58).
Désormais, Pignon suit une voie solitaire, inclassable dans l’abstraction comme dans la nouvelle figuration. La conception d’un espace ouvert et mouvant transforme progressivement sa manière de procéder : éprouvant le besoin impérieux d’une fusion avec la réalité, Pignon se place dans le spectacle pour appréhender la multiplicité des formes et des couleurs telles qu’elles se situent les unes en fonction des autres, dans la dialectique complexe de leurs rapports et de leurs articulations. Pour saisir cette réalité de l’intérieur, il accumule dans ses innombrables dessins et aquarelles une somme de notations et de sensations qui formera la matière première des toiles.
Il n’y a pas de rupture entre les différentes séries qui forment la trame de l’œuvre, mais une continuité plastique et une progression dans cette Quête de la réalité (titre d’un ouvrage publié par Pignon en 1966, suivi en 1974 de Contre-Courant) et dans cette approche de la forme désormais en mouvement. Ainsi, de 1958 à 1962, apparaissent les Combats de coqs et, parallèlement, des centaines de lavis à l’encre de Chine sur le thème des Moissons, d’où naîtront les séries des Battages et des Pousseurs de blé, dans lesquelles l’éclatement des formes et des couleurs atteint une grande violence. La dernière moisson est intitulée la Moisson-Guerre (1962). Y font suite presque naturellement les grandes Batailles de 1963-64, où l’on peut voir les « pousseurs de lances » se substituer aux « pousseurs de blé », puis les Têtes de guerriers de 1967-1970. Entre-temps, Pignon aborde la série des Plongeurs (1962-1966), dans laquelle le mouvement est devenu le vrai thème ; un mouvement qui ne serait plus figé dans l’espace et dans le temps, mais capté dans la vitesse de sa trajectoire, et qui peut être purement plastique, comme dans les Nus de 1971-1973. La peinture est pour Pignon un moyen de matérialiser les rapports essentiels qui organisent le désordre apparent de la réalité.
H. H.
R. J. Moulin et A. Calles, Pignon (G. Fall, 1970). / J. L. Ferrier, Pignon (Presses de la Connaissance, 1977).