Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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piétisme (suite)

L’essence du piétisme

À travers les écrits des différents représentants de cette grande tendance vers l’approfondissement de la piété, de la communion intime avec le Christ, de la ferveur, on trouve un certain nombre de couples alors considérés comme antagonistes : on prône la recherche de la vie contre la doctrine figée, les mouvements imprévus de l’Esprit contre les règles strictes du ministère, la puissance de Dieu contre les apparences d’un christianisme devenu plus formel que dynamique... Évidemment, c’est la foi, la foi vivante, souligne-t-on, reconnaissable à ses fruits, à l’infinie diversité des manifestations de l’amour qui apparaît comme l’essentiel, jusques et y compris dans ses orientations les plus délibérément sociales : centré sur une piété tendant à la perfection, mettant l’accent sur la conversion de l’homme régénéré plus que sur la justification par grâce, par le moyen de la foi, le piétisme n’en donne pas moins à ses adeptes la volonté de ne pas rester confinés dans des cercles élitistes : le souci des pauvres, le relèvement des buveurs et des prostituées lui apparaîtront comme les nécessaires extensions collectives de la vie chrétienne. Et ce ne seront que des déviations qui mettront l’accent sur l’individu seul en face de Dieu et sur la quête d’un salut intemporel.

Toutefois, les principes fondamentaux du piétisme ne ferment pas absolument la porte à ces altérations fondamentales de l’Évangile, devenu prétexte à toutes les nuances de l’égoïsme religieux intimiste : l’accent est mis tout d’abord sur l’activité souveraine de Dieu et sur la passivité de l’homme dans l’accomplissement du salut ; c’est que la corruption du genre humain est telle que nul espoir de vie n’est offert à qui n’est pas conscient de son incapacité radicale au bien. La pédagogie de la foi est poursuivie au cours d’une catéchèse qui doit aboutir à la conversion ; celle-ci est marquée par une cérémonie de confirmation solennelle, célébrée à l’âge de la puberté, véritable ordination des nouveaux chevaliers du Christ, qui débute par le dévoilement et la description des formes infinies du péché. Alors seulement, face à ses turpitudes, ayant comme entrevu les « profondeurs de Satan », le futur chrétien peut changer de vie et faire l’expérience bienheureuse de l’appartenance à son Sauveur.

L’exemple de l’itinéraire spirituel de Luther*, de l’agonie à l’illumination, est considéré comme un modèle normatif à réaliser par tout chrétien en devenir. L’événement unique et spectaculaire de la conversion une fois réalisé, on va s’occuper de l’édification, de l’épanouissement de l’individu transformé par la rencontre de Jésus, le Ressuscité : des « conventicules », ou collegia pietatis, sont créés à l’intérieur de chaque communauté chrétienne dans le dessein de transformer en « professants » les nouveaux convertis. Ceux-ci, appelés à une stricte discipline de vie, transformeront le monde en royaume de Dieu en poursuivant leur itinéraire vers la sainteté et en y rayonnant dans une vie tout entière soumise aux surgissements de l’Esprit saint. Ainsi opposeront-ils en tout lieu la conviction inventive aux pesanteurs institutionnelles, le volontariat à l’obéissance, l’actualité de la Parole à la tradition venue du passé révolu. C’est le triomphe du sacerdoce et de l’autonomie des laïques face aux clercs et théologiens, comme c’est aussi la radicale mise en question de toutes les liaisons constantiniennes entre l’Église et l’État.

La conviction que l’on revient aux origines du christianisme est très forte : les structures sont dévalorisées, comme aussi les divisions confessionnelles ; dans les cercles de lecture biblique, on redécouvre les spirituels catholiques et on cultive avec prédilection l’articulation mystique-éthique, préfigurant sans le savoir l’orientation qui, au xxe s., sera celle des pionniers de l’œcuménisme*.


L’influence du piétisme

Après avoir été pasteur à Francfort-sur-le-Main, de 1666 à 1686, Spener, résidant à Dresde, puis à Berlin, est chargé d’organiser l’université de Halle, fondée en 1694. Il y fait venir son disciple August Hermann Francke (1663-1727). Ce dernier, hébraïsant de valeur, entreprend l’étude exégétique de la Bible, puis, déployant une activité inlassable, fonde des orphelinats, des œuvres de mission intérieure et extérieure (et parmi les Juifs), organise le soutien aux minorités chrétiennes opprimées et pose les jalons d’une société biblique, en vue de la traduction, de la publication et de la diffusion de l’Écriture. Son influence est énorme et s’étend en Russie, en Amérique du Nord, en Afrique du Sud et aux Indes notamment : partout des missionnaires, fréquemment sortis des orphelinats et formés à l’université de Halle, se répandent en annonçant qu’un nouvel âge de l’Église commence.

Parmi eux, le plus célèbre est Nikolaus Ludwig von Zinzendorf (1700-1760), créateur d’une communauté de réfugiés moraves et hussites, de protestants et de luthériens vivant sur ses terres seigneuriales : l’« Église de l’unité » ou des « frères moraves », activement missionnaire et œcuménique, exercera une influence profonde sur le méthodisme* ; elle réussit à faire coïncider en elle une redécouverte doctrinale profonde du luthéranisme et un développement de la piété personnelle (biographies et journaux spirituels) qui prépare l’avènement du romantisme. Caractéristique de cette tendance est le recueil, publié annuellement, de textes tirés au sort et considérés comme le mot d’ordre divin pour chaque journée. Aujourd’hui encore ce livret est imprimé régulièrement en un grand nombre d’exemplaires et de langues.

Tous les grands de la fin du xviiie s. allemand, Lessing*, Johann Salomo Semler (1725-1791), Kant*, Schiller*, Goethe*, Fichte*..., sont profondément marqués par le piétisme. C’est en Friedrich Schleiermacher* (1768-1834) que celui-ci trouvera le génie religieux qui lui donnera un rayonnement intellectuel et spirituel universel en le fondant avec le courant romantique.

Les divers « réveils » des xixe et xxe s. ont des traits piétistes accentués. À travers les réactions rationalistes ou ecclésiastiques, le piétisme réapparaît toujours comme le signe qu’on ne saurait rencontrer le Christ sans se mettre à brûler pour lui d’un amour contagieux.

G. C.

➙ Protestantisme / Réveil / Schleiermacher.