Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Pierre Ier le Grand (suite)

Le premier voyage en Europe et les débuts d’une grande politique (1695-1699)

La politique traditionnelle de la Russie consistait à affronter ses voisins immédiats, méridionaux et occidentaux. Au sud, les khans de Crimée, appuyés par les Ottomans, ravageaient périodiquement les provinces méridionales de l’empire ; en outre, ils empêchaient les Russes d’accéder à la mer Noire. À l’ouest, la Pologne, battue en 1686, avait dû céder la Russie Blanche avec Smolensk et une partie de l’Ukraine avec Kiev. Les Suédois, bien installés sur les rivages de la Baltique, étaient l’obstacle essentiel qui empêchait la Russie de communiquer facilement par mer avec l’Occident.

La première expédition militaire de Pierre le Grand n’est qu’un demi-succès. Après deux campagnes difficiles (1695-96), où il se place volontairement sous les ordres de Lefort, il finira par prendre la forteresse turque d’Azov mais ne pourra obtenir un large accès à la mer (paix de Karlowitz, 1699). L’accès à la mer Baltique restera le grand dessein du règne.

En 1697, Pierre a entrepris en Occident un « voyage d’études ». À Amsterdam, il a séjourné longuement, créant la légende de l’« empereur charpentier » ; il a visité les chantiers de la Compagnie des Indes. À Londres, ce sont les musées, les laboratoires, les académies qui l’ont reçu ; il est revenu ensuite en Hollande et, par l’Allemagne, il a gagné Vienne, où il n’a pu persuader l’empereur Léopold de former une grande coalition contre les Turcs.

Après un séjour en Pologne, où il obtient le concours d’Auguste II, le tsar se décide à écraser la Suède, tout en engageant ses États dans les voies de la modernité.


Réformes et résistances

La résolution d’occidentaliser la Russie, qui ne se démentira jamais, n’est pas une vue de l’esprit, mais la claire conscience que seule la modernisation de son empire, qui en est encore au stade du Moyen Âge, pourra lui permettre de s’imposer dans le concert des nations européennes. Un détail est significatif à cet égard : en Russie, on datait encore les années en partant de la « création du monde » ; Pierre le Grand, le 1er janvier 1700, décide d’adopter le calendrier chrétien « julien ».

Le tsar va accélérer l’évolution de la société russe, caractérisée par la disparition de l’aristocratie princière et des boyards et leur remplacement par une noblesse de service issue des fonctions militaires et civiles et récompensée par l’attribution de domaines et de serfs. La caste des marchands devient de plus en plus importante, et elle sera encore plus prospère lorsque les conquêtes du tsar lui auront ouvert de nouveaux débouchés commerciaux.

Vis-à-vis du clergé, Pierre Ier mène une double action : il écarte les opposants conservateurs et favorise la promotion d’éléments médiocres mais tout acquis au pouvoir ou tout au moins incapables de s’opposer à ses innovations. En 1700, à la mort du patriarche Adrien (1627-1700), il supprimera même la fonction patriarcale, véritable pouvoir rival du sien.

Pour occidentaliser les mœurs, le tsar n’hésite pas à couper lui-même les barbes des plus grands seigneurs, à ordonner le port du costume européen par tous, à l’exception du clergé et des paysans, et à encourager l’usage du tabac.

Ces réformes passent aux yeux de beaucoup pour être l’« œuvre de Satan », et des résistances se font jour. Ainsi, à son retour d’Europe en 1698, le tsar doit faire face aux intrigues de Sophie et à la révolte des streltsy, qu’il châtie et finit par dissoudre.


Le conflit russo-suédois et le triomphe de Pierre le Grand (1700-1721)

Pierre Ier entre en lutte contre la Suède en 1700, mais il s’épuise au siège de Narva, et Charles XII* écrase les Moscovites sous les murs de la ville (30 nov. 1700), leur infligeant de lourdes pertes ; en juillet 1701, le roi de Suède s’empare de Riga. Mais Pierre force la victoire et, en 1703, alors que Charles XII combat les Polonais, il s’empare de l’Ingrie, de la Carélie et s’installe sur la Neva, où il fait édifier la future capitale de l’empire, Saint-Pétersbourg (v. Leningrad).

En 1707, Pierre Ier passe à l’offensive et attaque les armées suédoises en Pologne ; Charles XII se décide alors à pénétrer en Russie, franchit la Vistule et se dirige sur Moscou. Les troupes du tsar reculent en livrant de durs combats et en faisant le vide derrière elles. Arrêté près de Moguilev en juillet 1708, le roi de Suède essaie de susciter contre le tsar une coalition, mais il n’obtient que le concours des cosaques révoltés de l’Ukraine, dirigés par Mazeppa. Pierre Ier le devance et bat l’armée royale à Dobroïe, tandis qu’une armée de secours est défaite à Lesnaia, laissant entre les mains des Russes les vivres qu’elle apportait.

Aussi, Charles XII pénètre-t-il dans le grenier ukrainien pour y faire subsister ses troupes, mais là encore Pierre Ier a pris les devants et a fait transporter toutes les récoltes dans les magasins de Poltava. Le roi de Suède fait le siège de la ville, mais il manque de vivres et de munitions. Le tsar laisse l’armée suédoise s’épuiser et, le 8 juillet 1709, il attaque et remporte une victoire qui a dans toute l’Europe un retentissement considérable.

Durant les années suivantes, Pierre réalise son rêve : ouvrir une large « fenêtre maritime » par la prise de la Livonie, de l’Estonie et de la Courlande. Le traité de Nystad, signé le 10 septembre 1721 entre la Russie et la Suède, confirmera à Pierre le Grand la possession de la Livonie, de l’Estonie avec Ösel (Sarema), de l’Ingrie, d’une partie de la Carélie et d’un district de la Finlande avec Vyborg.

Ces conquêtes orientent définitivement la politique russe vers les puissances européennes grâce au développement de ses activités maritimes ; cependant, sa vocation d’État continental, se développant grâce à la colonisation paysanne vers l’est (Sibérie) et le sud (steppes de l’Asie centrale), ne disparaît pas pour autant.