Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Picardie (suite)

La Picardie subit une invasion particulièrement dramatique en 1636 (défaite de Corbie), mais la conquête de l’Artois en 1659 éloigna la frontière. Elle resta à l’écart de la Fronde, connaissant le prix de la guerre. Sous le gouvernement de Louis XIV, elle profita du perfectionnement de l’administration monarchique et de l’action des intendants. La production textile, malgré la tendance défavorable, se rétablit. À Amiens, la sayetterie élargit ses débouchés, diversifia ses productions, laissa à la manufacture rurale en expansion les fabrications communes ; à Abbeville prospéra l’entreprise privilégiée des Van Robais, fondée en 1665, et, à Saint-Quentin, l’industrie de la toile. Cependant, dans les dernières décennies du règne, la province traversa des années difficiles en raison d’une pression fiscale accrue, des disettes (1693-94, 1709-10) et de la proximité des opérations militaires. Au xviiie s., elle participa à l’élan général de la production agricole et manufacturière, tandis que s’implantaient des activités nouvelles : industrie du velours à Amiens, bonneterie dans le Santerre, serrurerie dans le Vimeu. La Révolution éclata dans un pays éprouvé par le traité franco-anglais de 1786, par la crise de subsistances de 1788-89 et par l’accroissement du paupérisme rural et urbain.

La population, continuant une évolution commencée depuis 1750, augmenta jusqu’au milieu du xixe s. À partir de 1850, la décadence des industries rurales provoqua un mouvement de dépopulation des campagnes que même le renouveau démographique contemporain n’a pas arrêté.

Au cours des deux guerres mondiales, la Picardie fut durement meurtrie. En 1914-1918, les fluctuations du front, établi perpendiculairement à la Somme, multiplièrent les destructions. En mai-juin 1940, la vallée de la Somme servit de voie d’invasion aux divisions blindées de la percée de Sedan. Durant la guerre, les bombardements aériens accumulèrent les ruines dans les villes.

C. E.

➙ Aisne / Amiens / Artois / Beauvais / Oise / Saint-Quentin / Somme.

 A. Demangeon, la Picardie et les régions voisines, Artois, Cambrésis, Beauvaisis (A. Colin, 1905 ; rééd., Guenégaud, 1973). / A. Alexandre, la Vie agricole dans la Picardie orientale depuis la guerre (Les Belles Lettres, 1929). / M. Renard-Payen, l’Histoire de la défense contre la mer et du dessèchement en Picardie (Domat-Montchrestien, 1938). / J. de Valicourt, la Picardie et ses chasses (Nouv. Éd. de la Toison d’or, 1947). / A. Chassaignon, Contes et légendes de Picardie (Nathan, 1955). / G. Vasseur, Documents inédits pour servir à l’histoire maritime et commerciale de la Picardie, 1628-1792 (Picard, 1955). / P. Pinchemel, Structures sociales et dépopulation rurale dans les campagnes picardes de 1836 à 1936 (A. Colin, 1957). / H. Peltier, Histoire religieuse de la Picardie (Paillart, Abbeville, 1961-1966 ; 2 vol.). / J. Lestocquoy, Histoire de la Picardie et du Boulonnais (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1962 ; 2e éd., 1970). / S. Gauthier, Meubles et ensembles picards (Massin, 1964). / G. Monmarché, Flandre, Artois, Picardie (Hachette, 1966). / P. Deyon, Amiens, capitale provinciale, étude sur la société urbaine au xviie siècle (Mouton, 1967). / A. Pécout, l’Économie de la Région de Picardie (la Documentation française, « Notes et études documentaires », 1967). / P. Pinchemel, J. Godard et C. Lamy-Lassalle, Visages de la Picardie (Horizons de France, 1967). / R. Fossier, la Terre et les hommes en Picardie jusqu’à la fin du xiiie s. (Nauwelaerts, Louvain, 1969-70 ; 2 vol.). / P. Pierrard, Flandre, Artois, Picardie (Arthaud, 1970). / A. Labarre, le Livre dans la vie amiénoise du xve siècle (Nauwelaerts, Louvain, 1971). / R. Fossier (sous la dir. de), Histoire de la Picardie (Privat, Toulouse, 1974).


L’art en Picardie

Il subsiste très peu de chose en Picardie de l’essor monastique du Moyen Âge. La bibliothèque d’Abbeville possède l’évangéliaire donné par Charlemagne à Angilbert, abbé de Saint-Riquier ; les manuscrits de l’abbaye de Corbie ont été dispersés, tel le missel du xiiie s. conservé à la bibliothèque d’Amiens.

L’architecture religieuse romane, peu caractéristique d’ailleurs dans l’ensemble du nord de la France, n’a laissé que de rares traces (crypte de Nesle ; église de Lucheux, près de Doullens, à nef non voûtée). Par contre, l’art gothique est précoce et brillant en Picardie. Des croisées d’ogives apparaissent tôt dans le xiie s. aux voûtes bombées de la nef de l’église d’Airaines (qui conserve une cuve baptismale du xie s., ornée de figures d’un style primitif). Chef-d’œuvre audacieux du gothique rayonnant français, la cathédrale d’Amiens* a en outre conservé sur ses portails cette hagiographie sculptée que John Ruskin appelait la « Bible d’Amiens ». Non moins hardie, la collégiale de Saint-Quentin*, construite pour ce qui est du chœur au xiiie s., sans doute sur les plans du Cambrésien Villard de Honnecourt, possède deux transepts, survivance d’un type ancien.

À la logique structurelle se superpose à partir de la seconde moitié du xve s. la féerie du gothique flamboyant. L’actuelle abbatiale de Saint-Riquier (remplaçant le célèbre édifice de la fin du viiie s.) appartient presque entièrement à ce style, qui anime sa façade ouest, à lourde tour médiane, d’un décor surabondant de gables festonnés, d’accolades, de dais abritant des statues. D’autres bons spécimens de la sculpture gothique du xvie s. peuplent les chapelles du déambulatoire et les croisillons du transept. Ravagée par un bombardement en 1940, Saint-Vulfran d’Abbeville a pourtant conservé ce qu’elle avait de plus remarquable, sa façade élancée à deux tours symétriques et trois portails, tapissée de tout un réseau linéaire à courbes et contre-courbes que figures et décor floral enrichissent encore. La luxuriance ornementale est à son comble sur la façade de la chapelle du Saint-Esprit de Rue et dans le réseau complexe de ses voûtes à clefs pendantes, ciselées comme des orfèvreries. Chers à la Picardie, des décors semblables se retrouvent aux églises de Poix, de Fontaine-sur-Somme, de Folleville (chœur abritant les riches tombeaux de la famille de Lannoy).

C’est encore au début du xvie s. qu’appartiennent les sculptures du portail de Mailly-Maillet et le haut-relief du tympan de La Neuville-sous-Corbie, vaste tableau d’un seul tenant consacré à l’entrée du Christ à Jérusalem.