Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Picardie (suite)

La jeunesse de sa création, l’influence relative de la capitale régionale et d’un réseau urbain encore insuffisamment relié, le nombre limité d’actifs qualifiés dans le secondaire et le tertiaire seraient pour la Picardie un handicap risquant d’en faire un simple atelier ou une zone de loisirs pour la Région parisienne. Mais la vigueur actuelle de ses activités agricoles et industrielles, sa situation privilégiée en France et dans l’Europe du Nord-Ouest, sa ténacité à travers les épreuves, son renouveau démographique récent et sa richesse en eau sont les gages d’un essor certain et d’un nouveau développement.

J.-P. M.


L’histoire

Le pays a fourni, notamment dans la vallée de la Somme, les plus anciens témoignages de l’activité humaine en Europe. D’ailleurs, au siècle dernier, la science préhistorique y est née grâce aux travaux de Boucher de Perthes. Les termes d’abbevillien et d’acheuléen (du nom de Saint-Acheul, faubourg d’Amiens) ont été retenus pour désigner différentes périodes du Paléolithique*. Aux temps néolithiques, du Ve millénaire à la fin du IIe, se produisit un fait fondamental : l’installation et le développement de l’agriculture. L’habitat se fixa sur les versants ou sur les fonds des vallées, et, de manière plus lâche et plus dispersée, sur les plateaux. À partir du Ire millénaire commença l’invasion du pays par les Celtes, qui, pour une part, s’insérèrent dans les cadres existants. Au ier s. avant notre ère, dans le bassin de la Somme, on distinguait deux tribus gauloises, celle des Ambiani et celle des Veromandui, dont le territoire s’étendait autour des villes actuelles d’Amiens et de Saint-Quentin.

La conquête par les légions de César, à partir de 57 av. J.-C., assura, pour trois siècles, les avantages de la paix romaine. Celle-ci fut marquée par un puissant essor agricole dont témoignent les vestiges de nombreuses villas, par la construction d’un dense réseau de routes en particulier vers la côte boulonnaise et vers le Rhin, par le développement des villes, dont la plus importante fut Samarobriva, désignée ensuite sous le nom d’Ambianum (Amiens).

Après le choc des invasions barbares qui l’avaient touchée dès le milieu du iiie s., la région bénéficia d’un accroissement de population et d’une extension de l’occupation du sol. Ce progrès fut surtout important de 550 à 750, mais il se poursuivit jusqu’au xe s. Le christianisme, qui avait été introduit vers la fin du iiie s., s’étendit dans les campagnes, dont l’évangélisation ne fut pas achevée avant le ixe s. Créées au viie s., les abbayes de Saint-Valéry, de Saint-Riquier, de Saint-Pierre de Corbie connurent à l’époque carolingienne un éclat particulier. La dignité abbatiale fut réservée à de puissants personnages, familiers ou parents du souverain, comme Angilbert (v. 745-814) à Saint-Riquier et Adalard (v. 753-826) à Corbie. Cela souligne l’intérêt porté par le pouvoir à la puissance économique des monastères, à leur rayonnement culturel, à leur utilité politique.

Dès le xie s., le pays participa au renouveau économique général. Un puissant essor démographique, entre 1075 et 1100 et surtout entre 1175 et 1225, entraîna la conquête de terres nouvelles aux cultures, le recul des forêts et des friches, l’établissement de l’assolement triennal avec jachère et l’augmentation des lieux d’habitat essentiellement sur les plateaux. Il assura, avant 1300, une complète mise en valeur du sol. L’activité industrielle s’affirma. Les villes de la Somme, utilisant les laines anglaises, fabriquèrent des draps de qualité. Les échanges s’accrurent, notamment par Abbeville et la baie de la Somme. Des grains furent exportés vers les Pays-Bas ou vers le golfe de Gascogne, la guède vers le marché anglais, les étoffes vers les foires de Champagne. Cette prospérité assura le développement des villes, où la bourgeoisie, dès le xiie s., s’émancipa de la tutelle seigneuriale en obtenant des chartes garantissant ses libertés : Amiens en 1117, Saint-Riquier en 1128, Corbie en 1183, Abbeville avant 1184, Saint-Quentin avant 1185. Les cités se parèrent de monuments splendides, chefs-d’œuvre de l’art gothique dont la cathédrale d’Amiens constitue un parfait exemple. Très tôt, les Capétiens portèrent une vive attention à une région si riche en ressources humaines et matérielles. En 1185, Philippe Auguste réussit à s’emparer du Vermandois et de l’Amiénois, dont s’était saisi le puissant comte de Flandre, Philippe d’Alsace. En revanche, la monarchie française laissa échapper le Ponthieu, acquis par Édouard Ier d’Angleterre en 1272 et conservé par la dynastie anglaise jusqu’à la guerre de Cent* Ans. La Picardie souffrit particulièrement de ce conflit, car elle devint le théâtre et l’enjeu des rivalités qui opposaient le roi de France, le roi d’Angleterre et bientôt le duc de Bourgogne. Les villes de la Somme furent, en 1435 (traité d’Arras), le prix de la réconciliation de Philippe le Bon avec Charles VII. Les ravages furent encore aggravés par la lutte qui opposa Louis XI à Charles le Téméraire. À la mort de ce dernier, en 1477, le roi de France reprit possession des villes cédées. Il ne put cependant acquérir l’Artois, laissant ainsi à la Picardie le rôle redoutable de province frontière.

En dépit de plusieurs incursions des troupes espagnoles jusqu’à la paix du Cateau-Cambrésis en 1559, la bonne conjoncture du xvie s. favorisa une vigoureuse reprise de la vie économique. Les blés du Santerre et du Vermandois trouvèrent un débouché dans l’agglomération parisienne, la sayetterie amiénoise, née à la fin du xve s., se développa rapidement, et l’activité maritime sortit de sa torpeur. La région fut touchée par l’humanisme*, dont Lefèvre d’Étaples fut le plus célèbre représentant picard. Cependant, l’analyse de la composition des bibliothèques d’un millier d’Amiénois a montré la permanence de la culture médiévale et la lente pénétration des préoccupations nouvelles. La réforme protestante se manifesta vers 1525, mais de fortes minorités de huguenots ne se constituèrent que dans la seconde moitié du xvie s. Vint alors le temps des affrontements et des troubles. En 1576, la noblesse picarde fut à l’origine de la fondation de la Ligue, bientôt soutenue par l’Espagne. Les villes ne s’y rallièrent qu’en 1588. Toutefois, Amiens fut l’une des dernières cités à se soumettre à Henri IV.