Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

Piaget (Jean)

Psychologue et pédagogue suisse (Neuchâtel 1896).



L’homme

Jean Piaget, psychologue de l’enfant, a commencé sa carrière en biologie, et le seul doctorat qu’il ait jamais passé porte sur les Mollusques du Valais. Aujourd’hui, il se dit plus volontiers épistémologiste, sans cesser, pour autant, d’observer les comportements de l’enfant — et d’occuper ses loisirs à étudier les plantes grasses ! —, et il se plaît à répéter que la psychologie de l’enfant n’a été qu’un épisode méthodologique de sa réflexion (un épisode de cinquante années) et un sous-produit de son œuvre (un sous-produit qui remplirait une bonne bibliothèque). Boutade, bien sûr, mais à demi seulement.

Le jeune homme, qui, après avoir publié son premier article à... onze ans, choisit de se consacrer à la biologie des Mollusques, s’attaque en vérité aux problèmes majeurs de son temps : d’abord ceux du transformisme — fixité des espèces et adaptation au milieu, rétroaction des actions du milieu sur les formes spécifiques, morphogenèse et stabilité des caractères acquis ; ensuite ceux que lui ont suggéré une lecture, enthousiaste et irritée à la fois, de l’Évolution créatrice de Bergson : l’intelligence et la vie, les progrès de la connaissance, orientés, mais selon quelle mystérieuse finalité ? Ainsi s’élabore le projet qui n’a jamais cessé d’être le sien : reconstituer, à travers l’histoire des sciences ou l’ontogenèse des notions, l’aventure de la connaissance humaine ; chercher les lois de ses progrès, en dépassant l’opposition bergsonienne de l’intelligence et du « vital », et en récusant, par méthode scientifique, tout recours à la préfiguration des innéistes comme à un inanalysable « élan » créateur. Élève de T. Lipps et de E. Bleuler (il est même un moment tenté par la psychanalyse), puis, à Paris, de Pierre Janet* et d’Alfred Binet*, Piaget demande à la psychologie les moyens d’une étude expérimentale de la pensée, à la psychologie de l’enfant ceux d’établir une « embryologie de la raison ». Arnold Reymond en Suisse, André Lalande et surtout Léon Brunschvicg en France lui ont ouvert les voies de la logique, de l’histoire des sciences et de l’épistémologie. Dans Sagesse et illusions de la philosophie (1965), Piaget raconte sa « déconversion » depuis son premier projet philosophique qui, vers 1916-1918, avait « pour but central de concilier la science et les valeurs religieuses ». Mais Biologie et connaissance (1967) répond, sans métaphysique, aux questions qu’il se posait un demi-siècle plus tôt, en lisant Bergson et en observant ses escargots valaisans. Ce qui est sûr, c’est qu’en 1921, quand il devient à l’institut J.-J. Rousseau de Genève le principal collaborateur de E. Claparède, Piaget cherche dans la psychologie génétique un moyen d’analyse plutôt qu’une fin en soi. Un article de 1925, « Psychologie et critique de la connaissance », dit clairement la primauté de l’intention épistémologique. Et pourtant, c’est seulement après trente années de travaux sur le développement du jeune enfant (avant le langage), sur la formation des représentations symboliques, sur la genèse des notions les plus variées (nombre, espace, temps, vitesse, mouvement, classes, ordre, etc.), que Piaget publie son Introduction à l’épistémologie génétique (1950).

En 1955, la Fondation Rockefeller permet la constitution à Genève d’un Centre international d’épistémologie génétique, que Piaget anime et qui réunit, autour de programmes de recherches annuels, psychologues, logiciens, mathématiciens, physiciens ou biologistes de tous les pays. Trente volumes d’études ont exprimé à ce jour les activités de ce Centre productif, qui est un modèle exemplaire de collaboration interdisciplinaire.

Piaget par lui-même

Quelques ouvrages d’initiation à la pensée de Piaget

• « Piaget’s Theory » (par lui-même), dans L. Carmichael (sous la dir. de), Manual of Child Psychology (New York, 1946 ; trad. fr. Manuel de Psychologie de l’enfant, P. U. F., 1952, 3 vol.).

• La Psychologie de l’intelligence (Paris, A. Colin, 1947) [ce livre ne donne pas encore de détails sur la pensée formelle de l’adolescent].

• Trois volumes de la collection « Que sais-je ? » (P. U. F.) sur la Psychologie de l’enfant (avec B. Inhelder, 1966), le Structuralisme (1968) et l’Épistémologie génétique (1970).

• Logique et connaissance scientifique, sous la direction de J. Piaget, (« Encyclopédie de la Pléiade », Gallimard, 1967).


La psychologie

La psychologie de Piaget apparaît d’abord comme une psychologie génétique de l’intelligence*, plus précisément même comme une psychologie du développement des structures cognitives, qui assurent d’abord la coordination des activités motrices (manipulations, déplacements), intentionnelles (« stade sensori-moteur », de la naissance à 18 mois-2 ans), puis, après l’apparition de la « fonction sémiotique » (dont l’acquisition du langage* n’est qu’un aspect, à côté du jeu symbolique, de l’imitation différée, de la représentation imagée), la coordination des représentations et des opérations. Les « opérations » sont d’ailleurs définies par Piaget comme des actions réelles ou symboliques, mais intériorisées en systèmes réversibles, dont les propriétés, en tant que relatives aux systèmes eux-mêmes et non aux opérations particulières, définissent les structures successives de l’intelligence.

De 2 à 6 ans, un « stade préopératoire » est marqué négativement par les difficultés de la décentralisation, c’est-à-dire aussi bien par l’incapacité à se représenter les choses autrement que du point de vue actuel et local du sujet que par l’incapacité à se détacher des états (configurations) pour raisonner sur les transformations qui les produisent et surtout sur les connexions internes des familles de transformations. À la fin de ce stade s’esquisse une « logique des fonctions » (Piaget parlait autrefois d’« intuitions articulées »), encore peu étudiée, où l’enfant se montre capable de mise en correspondances partielles ou localement limitées, avec des possibilités restreintes de composition et surtout d’inversibilité : ces « fonctions » peuvent être des liaisons causales élémentaires ou des applications au sens algébrique, sans en avoir encore toutes les propriétés, et restent bien sûr très dépendantes de leur support concret.