Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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photographie (suite)

Américain, le peintre Man Ray (1890-1976) s’intéresse aussi à l’aspect secret de l’objet. Il s’initie à la photographie dès 1919. S’enthousiasmant pour le mouvement dada*, il fait ensuite partie du groupe surréaliste. Après son arrivée à Paris, il réalise en 1922 ses premiers « rayogrammes » en posant directement les objets éclairés sur la surface sensible. Par ce procédé, il obtient des compositions abstraites d’une grande simplicité baignées d’une lumière étrange. Ses portraits restent aussi les témoins d’une esthétique nouvelle. Passionné par les trouvailles techniques, Man Ray est l’un des premiers à pratiquer la solarisation.

La poésie est très apparente dans les réalisations des Français Doisneau, Izis, Boubat ou Lucien Clergue. Robert Doisneau (né en 1912), auteur de plusieurs albums sur Paris, sa banlieue et ses habitants, transfigure grâce à son humour le quotidien banal. Izis (né en 1911), le rêveur, intitule l’un de ses plus beaux albums Paris de rêve, mais il est aussi fasciné par les animaux et par le cirque ; il est un subtil utilisateur de la couleur. Édouard Boubat (né en 1923) réalise des reportages pleins de force contenue et de tendresse, et, en 1973, il publie Miroirs, recueil de très beaux portraits, en collaboration avec le romancier Michel Tournier. Lucien Clergue (né en 1934) réalise des reportages, tous empreints d’une poésie discrète, qu’il soit inspiré par son ami Picasso, par les paysages de Camargue ou par l’eau et le nu féminin ; ses images se situent hors du temps ; Clergue recherche l’essentiel.

L’Angleterre voit aussi, à la suite de Cecil Beaton, se développer une génération nouvelle de photographes. Cecil Beaton (né en 1904), qui a d’abord été peintre, ne renie pas les grands précurseurs anglais, Hill, Lewis Carroll ou Cameron. Ses images romantiques et vaporeuses sont souvent le résultat de certaines subtilités techniques ; surimpression, cadrage étrange. Beaton reste l’un des coloristes les plus délicats. En regardant son œuvre, on ne peut s’empêcher de penser à certaines images de Lewis Caroll et, plus près de nous, à celles de David Hamilton, dont les jeunes filles rêveuses sont à la fois érotiques et irréelles. Bill Brandt (né en 1905), aussi, est tenté par le nu féminin et s’amuse des perspectives étranges du corps féminin. Il réalise aussi de très belles photographies de reportage (1940, les Abris-Refuges de Londres, ou The English Home). Une place toute particulière doit être réservée à l’Autrichien Ernst Haas (né en 1921). Celui-ci réalise un reportage sur le retour des prisonniers de guerre en 1949 et fait quelque temps partie du Magnum. Aujourd’hui, ce sont surtout ses images en couleur qui suscitent l’admiration. L’apport de la technique est surtout utilisé au moment de la prise de vue. Le recueil que Haas publie en 1971, la Création, est un chef-d’œuvre dans lequel les quatre éléments deviennent un poème chamarré et grandiose.

L’école japonaise possède également de grands virtuoses, le plus souvent adeptes des petits formats. Hamaya Hiroshi (né en 1915) s’intéresse très jeune à la photographie. Sa ville natale, Tōkyō, est son premier sujet d’exploration. Il visite ensuite de nombreux pays, toujours avec l’œil d’un photographe concerné par son temps et entre à Magnum en 1960.

Hosoe Eikō (né en 1933), également originaire de Tōkyō, réalise des images plus violentes ; ses nus ont une intensité dramatique. Il utilise volontiers la lumière du jour, mais jongle aussi avec les possibilités du flash électronique.

Anzaî Kichisaburō (né en 1936) traite le paysage avec sensibilité, malgré une vision sophistiquée. Il travaille souvent au grand angle.

• La photographie publicitaire et la photographie de mode. La photographie est-elle devenue l’un des principaux media de la « communication de masse » ? Et pourtant rien n’est plus irréel que la photographie publicitaire. Entre les deux guerres mondiales, le Français Hary Meerson (né en 1910) est parmi les premiers fabricants de rêve ; il montre une femme heureuse devant un produit nouveau. Dans un dépliant publicitaire réalisé par Helmut Newton de Londres, érotisme et vitesse deviennent des mythes qui accompagnent l’accessible voiture de luxe. Réelle aussi la très belle photographie d’un athlète de Ernst Haas : l’attitude puissante est très bien saisie par le cadrage et le choix de l’objectif ; mais il s’agit ici aussi d’un mythe, et le document sera utilisé pour vanter les effets toniques d’une médication à la vitamine E. D’autres photographes publicitaires, prenant une voie délibérément opposée, situent l’homme en harmonie avec la nature, ainsi le Français Guy Bourdin, qui fait aussi de très belles photographies de femme. Certains encore, tel un autre Français, André Édouard (né en 1939), évoquent la métallurgie et sa puissance ou l’infini des distances parcourues par Air France, uniquement au moyen de photographies totalement abstraites, qui créent l’illusion de la force et du mouvement.

Le domaine de la photographie de mode a toujours été partagé entre deux tendances : l’une réaliste, traitant la mode en reportage, en portrait vérité, et l’autre situant la mode dans un monde inaccessible, parfois intimiste, mais toujours sophistiqué. Les images de l’Américain Irving Penn (né en 1917) sont d’un style réaliste. Le graphisme puissant est souvent servi par le contraste du noir et blanc ou par une subtile utilisation de la couleur. Richard Avedon (né en 1923), a eu pour maître Alexeï Brodovitch (1900-1971), qui dirige jusqu’à sa mort la revue Harper’s Bazaar, et donne le ton aux magazines de mode du monde entier. Ses images sont techniquement très sophistiquées ; elles nous montrent des femmes lointaines, à la silhouette démesurément allongée. Wakabayaschi Yasuhiro, dit Hiro (né en 1930), tout comme Avedon, dont il fut l’assistant, subit l’influence de Brodovitch. Il est depuis 1958 l’un des principaux photographes de Harper’s. Georges Tourdjman (né en 1935), autre élève de Brodovitch, utilise souvent le corps féminin tel une toile de fond pour la présentation de matériaux insolites. Il jongle avec les reflets des métaux et les scintillements des matières synthétiques. Jeanloup Sieff (né en 1933) s’intéresse très jeune à la photographie. Il devient professionnel en 1954. Par de longs séjours à New York entre 1960 et 1965, il connaît les réalisations des grands magazines de mode américains auxquels il collabore. Le petit format qu’il adopte volontiers et le flash électronique donnent une grande mobilité à ses images. Il n’exclut pas les cadrages insolites (photographie d’un chauffeur de Rolls), les déformations créées par le choix des optiques, les filtres et les manipulations de laboratoire. Devant la réalité d’un nu, d’un paysage ou de la mode, il est à l’affût de l’irréel.

Ce monde enchanté a provoqué une réaction inverse, et des femmes comme Lisette Model (née v. 1920) ou son élève Diana Arbus (1923-1971) font des photographies où percent la laideur humaine et l’angoisse. L’Américaine Judy Dater (née en 1941), elle, est obsédée par la solitude de ses contemporains.