Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Aristote (suite)

Le mouvement correspond à un changement tant par rapport à soi-même que par rapport aux autres. La définition aristotélicienne du mouvement exige un terme de référence permanent, qui permette de mesurer le changement, et une cause, qui permette d’expliquer chacun des processus. Pour le « mouvement local », le point fixe référentiel est le centre de la Terre. À cette occasion précisons que le mouvement local est certes une espèce importante du mouvement, mais seulement une espèce : c’est le mouvement dans le domaine de l’espace. Il y a un mouvement dans le domaine de la qualité (altération) et un mouvement dans le domaine de l’être (la génération et la corruption). De même, chaque mouvement a besoin d’un moteur pour se produire. Le processus ne se maintient qu’autant que l’action du moteur dure. Pour le mouvement naturel, le moteur est la forme même du corps qui s’efforce de le réintroduire dans son lieu naturel ; dans le cas du « mouvement violent », le moteur est un corps externe qui s’attache au corps mû.

Par la théorie tant du mouvement naturel que du mouvement violent et par la description des lieux naturels, Aristote s’oppose à l’hypothèse de l’espace vide (comme l’est celui de la géométrie), incompatible avec la conception d’un ordre cosmique, d’un espace cosmique qualitativement différencié, d’une hiérarchisation ontologique.


La morale et la politique

Selon Aristote, toute activité humaine tend vers une fin qui détermine le processus de l’action et représente un bien : par exemple, la fin de la médecine est la santé, tandis que la fin de l’activité économique est la richesse. La fin ultime et suprême, désirée pour elle-même et non plus envisagée comme moyen en vue d’une fin supérieure, est le Souverain Bien. Les éléments constitutifs du Souverain Bien — Bonheur et Vertu — sont inséparables pour les Grecs, qui interprètent le fini comme ce qui est parfait, parachevé : est vertueux l’être qui a pleinement réalisé son essence ; un tel être accède nécessairement au Bonheur. À partir de cette définition du Bonheur par la Vertu, il semblerait légitime d’ériger la morale au rang de science souveraine. Tout au contraire, Aristote subordonne l’éthique à la politique, qui s’impose comme la fin suprême de l’action. « Le Souverain Bien dépend de la science organisatrice souveraine, en d’autres termes de la science politique » [Éthique à Nicomaque, livre Ier, chap. i, 4-5).

En tant que science de la vie en communauté, la politique régit le domaine des autres sciences (science militaire, éducation des citoyens, économie, rhétorique) et s’affirme comme une « science architectonique ». L’Éthique ne saurait être autonome, car ses conditions de possibilité dépendent de la vie de la cité : la science politique est la véritable science des fins. « Elle légifère sur ce qu’il faut faire et éviter, la fin qu’elle poursuit peut embrasser la fin des autres sciences, au point d’être le bien suprême de l’homme » (ibid., 6). Aristote dénonce la dualité du citoyen et de l’individu ; l’homme est un « animal politique » qui est fait pour une vie réglée par des institutions. La politique tend à la réalisation du bien spécifiquement humain : « Le bien certes est désirable quand il intéresse un individu pris à part ; mais son caractère est plus beau et plus divin, quand il s’applique à un peuple et à des États anciens » (ibid., 7).

La distinction qu’Aristote institue entre les définitions premières et les définitions secondes permet de préciser ce qu’est pour lui la science politique. La définition est un discours qui exprime l’essence de la chose : les définitions premières servent de points de départ aux démonstrations, tandis que les définitions secondes ou composées constituent soit le terme d’un raisonnement, soit une partie de la démonstration. Ces dernières sont atteintes par réduction, c’est-à-dire par une méthode d’observation et de comparaison des faits qui se substitue à la méthode syllogistique. La méthode inductive est la seule praticable dans l’ordre moral et politique, où les faits constituent le « point de départ » et où la connaissance est simplement relative à nous (et non point en soi). Lorsque Aristote s’efforce de définir la cité, il se réfère au genre et à la différence spécifique : la cité est une sorte de communauté, mais c’est la plus haute de toutes. Chronologiquement, la cité suppose la famille et le village ; téléologiquement, elle est la forme supérieure de la communauté, car elle poursuit le Bien suprême. La communauté politique est la totalité organique qui enferme toutes les autres comme ses parties. Aristote, contrairement à Platon, qui s’en tient à une différence numérique, découvre une différence qualitative entre la famille et la cité : elles se distinguent au niveau de la forme.

Aristote reconnaît l’origine de la communauté politique dans le couple sexuel. La relation sexuelle est de même nature que la relation maître-esclave : ces unions sont également naturelles, et chacun des termes des deux couples ne peut vivre sans l’autre. La fin du couple sexuel est la procréation, qui ne maintient éternellement que la forme, l’essence. Dans la procréation, l’homme vient informer la matière constituée par la femme. De même, l’esclave est l’instrument du maître, qui réalise pleinement son essence dans l’acte de commander. Cette faculté et ce droit de commandement résultent de l’intelligence, qui est la partie la plus noble de l’homme. L’esclave ne saurait vivre sans le maître, car sa nature se manifeste dans l’obéissance. Le couple maître-esclave, tout comme le couple homme-femme, est indissociable, car chacun des extrêmes y développe son essence.

Lorsque Aristote s’interroge sur la genèse de la cité, il prétend démontrer son origine naturelle. Bien qu’elle naisse du besoin, la cité dépassera le niveau purement économique pour atteindre le Bonheur. Elle est profondément finalisée : la cité n’existe que parce que la nature vise le Bien de l’espèce humaine, qui ne peut s’actualiser que civilement. L’homme est un intermédiaire entre les dieux et les animaux, qui peuvent vivre également isolés (bien que pour des raisons différentes) ; au contraire, l’être humain ne peut exercer sa raison qu’à l’intérieur de la communauté politique.

La sociabilité humaine se distingue de certaines formes animales de vie communautaire par l’usage de la parole. Aristote voit dans la parole la cause du rassemblement communautaire et s’oppose aux sophistes, qui interprétaient la parole comme une conséquence de la vie civile.