Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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philosophie (suite)

Le rationalisme

Cependant, le plus souvent, les empiristes travaillent moins à réfléchir au succès des sciences expérimentales qu’à critiquer le rationalisme du xviie s. Cette critique est partout présente dans l’empirisme, certes, mais elle l’est aussi dans le naturalisme de Diderot, dans le culte du sentiment, de l’intuition, voire du mysticisme chez les préromantiques allemands.

Cependant, le rationalisme est présent au xviiie s., mais sous une forme nouvelle ; si la philosophie, dans son âge classique, a fondé le système de la rationalité, elle tend plutôt, à l’ère des lumières, à prendre la mesure de l’intelligence humaine pour la rendre efficace dans tous les domaines. Le projet des encyclopédistes (v. Encyclopédie) est, à cet égard, exemplaire et tout à fait opposé à l’idée cartésienne ou leibnizienne d’une science universelle. Il ne s’agit pas d’étendre le savoir, mais de le rendre public ; la connaissance n’a pas de vertu en elle-même, mais dans la mesure où elle est une arme dans le combat de la raison pour son émancipation.

Un des aspects fondamentaux de la philosophie au xviiie s. est la conversion de l’esprit spéculatif en esprit pratique et l’apparition d’une philosophie politique. Certes, les grands systèmes du passé contiennent une « politique », mais ils la contiennent à la manière d’une application ou d’une déduction. Au xviiie s., la réflexion politique, loin d’être une partie de la philosophie, l’envahit tout entière ; c’est que la société, comme la nature, a perdu son impénétrabilité sacrée. Les philosophes du xviie s. ont clos le monde en un système de raisons, mais le monde n’est pas ce système de raisons. Le projet de la raison se heurte à un obstacle qui n’est ni dans la nature, ni dans l’homme, ni dans Dieu, c’est-à-dire qu’aucun discours métaphysique ne peut cerner. C’est que, au-delà, ou à côté, ou à la place de la triade métaphysique nature-homme-Dieu, le « social » commence à exister comme un lieu spécifique et donc comme un champ spécifique de la connaissance. La philosophie politique vise plus loin que la critique sociale : elle détermine en fait une nouvelle problématique et prépare la constitution d’une nouvelle science.

• Montesquieu* (1689-1755). Pour Montesquieu, il s’agit de découvrir, dans la multiplicité des régimes politiques, des mœurs et des lois, le principe d’organisation des sociétés. Procédant comme le physicien, Montesquieu établit des corrélations entre le système politique, la géographie, l’organisation sociale, les principes moraux, recherchant « les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses ». Contre ceux qui voient dans les sociétés l’effet de la liberté et du hasard, contre ceux qui y voient l’expression d’un ordre naturel ou transcendant, il introduit l’idée que le fait social est régi par une logique autonome et spécifique.

• Rousseau* (1712-1778). On retrouve cette même idée chez Rousseau, mais dans une perspective toute différente, celle du rapport entre la société et la nature. La question centrale est de définir le « social ». Rousseau décrit l’état de nature, état hypothétique et fictif, comme le mythe où l’histoire cherche son fondement. Mais le commencement est une illusion, comme le retour aux origines. En fait, l’histoire n’a pas d’origine, mais tout a une origine dans l’histoire : les langues, les passions, les idées, les institutions, la raison. L’homme n’est jamais présent que dans la médiation sociale, comme être social : « J’ai compris que tout tenait radicalement à la politique [...]. » Dès lors, la révolution politique apparaît comme une nécessité de l’histoire de l’homme, histoire dont il faut redresser le cours catastrophique pour restaurer l’homme comme citoyen. Le Contrat social montre que l’obéissance à la volonté générale, qui n’est ni une volonté suprême, ni une volonté moyenne, est le substitut de la liberté naturelle perdue. Devenant partie du corps collectif, l’individu se convertit en citoyen, à la fois actif et passif, à la fois sujet et souverain. Le règne de la volonté libre se substitue à celui de la liberté naturelle, comme celui de la légitimité à la nature.

La raison est, chez Rousseau, cette faculté pratique qui convertit le sujet en citoyen. En cela, il s’oppose aussi bien à la longue tradition intellectuelle, pour qui la raison est faculté de savoir, qu’à l’empirisme de son temps. Cette troisième voie conduit à la philosophie critique de Kant.


La philosophie critique Kant* (1724-1804)

La lecture de Rousseau fut, pour Kant, décisive : elle lui révéla la nécessité d’une conversion de la raison, d’une critique interne, menée par la raison elle-même, au nom de ses propres fins, qui ne sont pas les fins de la nature. La philosophie implique de déterminer les fins de la raison et de les réaliser. La critique portera sur les trois facultés de la raison : connaître (Critique de la raison pure), désirer (Critique de la raison pratique), juger (Critique du jugement).

La critique de la raison, dans son usage spéculatif, amène Kant à rechercher les conditions d’une connaissance possible. Toute connaissance impliquant un a priori, c’est-à-dire quelque chose de nécessaire et d’universel, le problème se pose ainsi : comment le donné de l’expérience est-il nécessairement soumis à des représentations a priori ? Les théories rationalistes ont recours à l’hypothèse d’une correspondance entre l’idée et l’objet, tandis que les empiristes font dépendre la connaissance des principes de la subjectivité. L’idée fondamentale de Kant est que l’expérience — et non l’objet — est nécessairement soumise à nos représentations a priori. Tel est le sens du concept de « transcendantal », qui désigne le principe en vertu duquel l’expérience est soumise à des représentations a priori. L’esthétique transcendantale étudie comment la diversité est donnée à la sensibilité dans l’intuition à travers les cadres a priori de l’espace et du temps. L’analytique transcendantale étudie comment le divers de l’intuition est unifié par le concept dans la synthèse de l’entendement. La liaison dans les catégories de l’entendement implique l’unité du « Je pense », qui accompagne nécessairement toute représentation.