Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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philosophie (suite)

On retrouve dans la pensée politique de Spinoza cette opposition au dualisme cartésien. Alors que tous les penseurs politiques (Hobbes en particulier) justifient l’état despotique comme un frein nécessaire à une nature violente, Spinoza, qui ne considère pas la nature comme opposée à la raison et voit dans l’une et l’autre les mêmes forces et les mêmes « appétits », ne reconnaît pas à l’État la souveraineté que lui attribuait Hobbes ; le rôle de l’État n’est pas de supprimer le droit naturel. Le droit des sujets est de s’insurger contre un État qui userait de violence ou instaurerait l’inégalité.

Ainsi, on le voit, Spinoza est conduit, tant sur le plan religieux que sur le plan politique, à des conclusions peu communes à son siècle. Mais il y a plus : il existe chez lui une audace théorique qui dépasse infiniment son libéralisme et son matérialisme ; certaines de ses analyses font de lui un précurseur des plus grandes idées du xixe et du xxe s. En excluant de la nature la transcendance, la finalité, la liberté, on peut dire que Spinoza a réalisé dans la philosophie la révolution introduite par Galilée dans les sciences. En tout cas, il a rendu théoriquement possible une véritable « science de l’homme ».


Leibniz* (1646-1716)

Leibniz critique, lui aussi, le dualisme entre l’âme et le corps, entre la liberté et le mécanisme. À la méthode cartésienne qui fonde sur l’évidence les premiers principes, il oppose l’analyse réductrice et combinatoire du calcul infinitésimal, qui saisit non plus les essences, mais les connexions et les substitutions possibles, non contradictoires, entre des termes déjà connus.

Le réel est un continu divisible à l’infini et enveloppant l’infini dans l’infinité de ses divisions. Mais la variété infinie suppose, comme celle des nombres dans une série, une loi de distribution nécessairement extérieure à la série qu’elle ordonne. L’analyse infinitésimale, projetée des mathématiques à la physique, à la métaphysique et à la théologie, permet de découvrir la correspondance générale de tous les termes, qui ne sont différents que par la place qu’ils occupent dans la combinatoire.

La distinction entre le possible et le réel, et la théorie de la « monade » sont au centre du système de Leibniz. Si les vérités de fait sont contingentes parce que seule une analyse infinie peut en atteindre la raison, les vérités de raison sont nécessaires, c’est-à-dire connues a priori comme la raison des séries infinies. La connaissance des vérités de raison appartient à l’entendement divin et constitue tout le possible. Le réel est la combinaison, voulue par Dieu, de tous les possibles compatibles. C’est pourquoi le monde est le « le meilleur des mondes possibles ». Ainsi, chaque élément participe à l’infini dans la mesure où il contient tout le possible et l’exprime dans l’infinie diversité des représentations. Les « monades » sont ces miroirs où se réfléchit tout l’univers, suivant une plus ou moins grande clarté ; toute réalité est monade, depuis la « monade nue », privée de conscience et de sentiment, jusqu’à la « monade rationnelle », l’esprit. « Dieu tournant pour ainsi dire de tous les côtes et de toutes les façons le système général des phénomènes [...]. » Leibniz, caressant le rêve d’une science générale des relations et des transformations, en arrive à concevoir l’univers comme la répercussion infinie de symboles ordonnés selon une harmonie préétablie.


Le xviiie siècle

Le xviiie s. est celui de Newton*, comme le xviie fut celui de Galilée. En trente ans, la mécanique céleste de Newton triomphe partout, et avec elle l’image d’un monde gouverné par des forces dont on peut connaître l’existence et le fonctionnement, mais non l’origine. Ce sont l’expérience et l’induction qui permettent d’affirmer l’universalité de la loi de gravitation. En introduisant l’expérimentation dans les sciences, Newton donne à la science un nouveau but : non plus déduire et expliquer, mais observer, comparer, chercher des lois et utiliser la nature en connaissant ses forces cachées. Par ailleurs, les progrès réalisés en biologie, en physiologie, en médecine (Linné*, Spallanzani, Haller) contribuent à valoriser l’expérience et l’observation contre la déduction des principes. Buffon* dans son Histoire naturelle décrit les espèces vivantes sans recourir aux causes finales et en se fondant uniquement sur l’observable. Contre le dualisme, Diderot*, d’Holbach, La Mettrie développent des conceptions matérialistes, souvent inspirées de Démocrite et de Lucrèce. La nature est une gigantesque organisation en même temps qu’une histoire, où se réalisent, par l’expérience, les formes supérieures de la vie.


L’empirisme

L’empirisme de Locke*, de Condillac*, de Hume*, de Berkeley* réfléchit, lui aussi, le succès des sciences expérimentales. Refusant les idées innées comme les causes finales, les empiristes ne croient qu’à la sensation et à la réflexion. La théorie de la connaissance devient psychologie de la connaissance : il s’agit de décrire les procédés de l’esprit et les lois de son fonctionnement. Pour Locke (1632-1704), l’entendement peut seulement comprendre ce qu’il observe et non atteindre les causes. La recherche du fondement des connaissances est hypothétique et vaine. On retrouve la même opposition à l’esprit métaphysique chez Hume (1711-1776), que l’empirisme conduit au scepticisme : les idées sont les représentations des impressions sensibles, dont elles ne diffèrent que par l’intensité ; elles s’attirent en vertu de leurs relations de contiguïté ou de ressemblance. La causalité est une illusion de l’imagination, comme la permanence et l’identité. Finalement, Hume restaure la croyance spontanée et le sentiment contre le dogmatisme intellectuel, moral et religieux. Le sensualisme et l’empirisme conduisent Berkeley (1685-1753) à affirmer l’inexistence de la matière : tout est sensation ; une chose n’est que d’être perçue. La nature est le langage de Dieu.