Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Philippines (suite)

Il faut signaler aussi plus d’une centaine de révoltes des Philippins eux-mêmes à Pampanga en 1585, dans les Ilocos et à Cagayan en 1589, des Igorots en 1601, de Gadang en 1621, de Bancao en 1622, de Sumuroy de 1649 à 1660, de Malong en 1660-61, de Dagohoy de 1744 à 1828. Quant aux « Moros », musulmans de Mindanao et des Sulu, ils resteront pratiquement indépendants jusqu’à la fin de la domination espagnole. En 1878, le sultan Jamalul Alam de Sulu préfère aliéner le Sabah (nord de Bornéo) à des marchands britanniques et en obtenir l’argent nécessaire à la résistance plutôt que de capituler.

Avec le xixe s., les conditions changent pourtant sensiblement. En 1813, le gouvernement espagnol supprime le commerce par galions et, en 1837, il déclare Manille port franc. La fondation de Singapour (1819), l’« ouverture » de la Chine, l’introduction de la navigation à vapeur, le creusement du canal de Suez modifient les conditions de l’économie. De grandes plantations de produits tropicaux destinés à l’exploitation (sucre, tabac, abaca) sont créées. Une classe moyenne d’ilustrados philippins se forme, de plus en plus perméable aux idées libérales qui parviennent d’Europe (notamment pendant les deux années durant lesquelles l’Espagne est en régime républicain, 1868-1870). En 1871, éclate à Cavite une révolte que les autorités espagnoles noient dans le sang ; plusieurs meneurs sont exécutés, dont trois prêtres, Mariano Gómez, José Burgos et Jacinto Zamora, qui ont pris parti contre les privilèges des ordres réguliers. Les victimes sont considérées comme des martyrs par les partisans de l’indépendance nationale.

Tandis que José Rizal publie de célèbres romans qui fustigent l’ordre colonial (Noli me tangere et El filibusterismo) et fonde en 1891 à Hongkong la Liga filipina, son ami Andrès Bonifacio organise la société secrète Katipunan en 1892 et se prépare à la lutte armée. Rizal est déporté, puis fait prisonnier en Espagne et fusillé à Manille en décembre 1896. Son exécution déchaîne un mouvement d’indignation dans tout le pays ; Bonifacio proclame la république et prend le maquis, mais les nationalistes ne s’entendent pas entre eux ; Emilio Aguinaldo fait exécuter Bonifacio et se met à la tête du mouvement. Impuissants à réprimer la révolte, les Espagnols (général Fernando Primo de Rivera) cherchent à négocier ; Aguinaldo accepte de s’exiler à Hongkong en échange d’une promesse de réformes.


L’histoire contemporaine

Dès 1898, cependant, le régime espagnol succombe sous les coups d’un nouvel adversaire, les États-Unis*. À la suite de l’incendie d’un vaisseau américain dans le port de La Havane, le gouvernement de Washington ouvre les hostilités contre Cuba et envoie l’amiral George Dewey détruire les forces navales espagnoles en Extrême-Orient. Dewey entre en contact avec Aguinaldo, et l’insurrection reprend à Luçon. Après la capitulation espagnole et le traité de Paris (déc. 1898), qui cède aux États-Unis l’autorité sur les Philippines, les Américains se retournent contre les insurgés, qu’ils n’ont pas de mal à réduire, et installent un gouvernement militaire, transformé en un gouvernement civil en 1901. Les Philippins ont changé de maîtres.

Les Américains modernisent le pays en mettant sur pied une nouvelle administration, en réorganisant le système d’enseignement, en faisant adopter l’anglais comme langue nationale, en créant un gouvernement local composé de deux chambres. Ils règlent dès 1902 la délicate question des biens d’Église en lotissant une partie des latifundia, mais reprennent à leur compte tous les privilèges économiques qui avaient été ceux des Espagnols. Les nationalistes philippins, regroupés autour de Manuel Quezón, ne cessent de réclamer l’indépendance que les Américains leur ont promise à long terme. La grande dépression de 1930, qui touche les producteurs de sucre, de tabac et d’oléagineux aussi bien que les ouvriers et le petit peuple, a pour conséquence de leur amener de nouveaux alliés. En 1935 est proclamé le « Commonwealth des Philippines », qui offre une plus grande autonomie au gouvernement local et confie l’exécutif à un président philippin (Quezón). L’indépendance effective est promise pour dans dix ans, mais les États-Unis conservent tous leurs avantages douaniers.

La guerre du Pacifique donne un nouvel élan au nationalisme. Quelques jours après Pearl Harbor, les Japonais entrent dans Manille (janv. 1942) ; MacArthur est obligé de se replier en Australie, emmenant avec lui le président Quezón. Dès 1943, les Japonais proclament l’indépendance des Philippines avec le tagal comme langue nationale. Pourtant, ils ne parviennent à rallier qu’un petit groupe de collaborateurs, et, dans les montagnes, des maquis pro-alliés se constituent (armée populaire antijaponaise, Hukbalahap ou Huk). Après la bataille de Leyte (1944), MacArthur reconquiert l’archipel et rentre dans Manille (févr. 1945).

Les liens avec les États-Unis se rétablissent très vite. Le Philippine Trade Act (ou Bell Act) confie le redressement économique du pays aux Américains et un accord militaire leur cède pour quatre-vingt-dix-neuf ans plus de vingt bases aéronavales. En retour, Washington confirme l’indépendance dès 1946. Les armées Huks souhaitent une réforme plus radicale, distribuent les terres et organisent des « zones libérées », mais le président Ramón Magsaysay (1953-1957) a raison de leur opposition. L’emprise américaine se précise lorsqu’en 1954 est signé à Manille le traité constituant l’Organisation du traité de l’Asie* du Sud-Est.

À partir des années 60 et plus précisément lors de la campagne électorale de 1965 qui mène à l’élection du président Ferdinand Marcos, on assiste à une certaine résurgence du nationalisme, qui confine parfois à l’anti-américanisme. Parallèlement, le commerce extérieur ne se tourne plus seulement vers les États-Unis et les échanges se multiplient avec les autres pays du continent asiatique (le gouvernement se rapproche politiquement de la Malaysia* et l’Indonésie*). Une certaine bourgeoisie philippine s’inquiète des tarifs préférentiels qui ouvrent tout grand le marché local aux produits d’outre-Pacifique.