Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Philippe V (suite)

La guerre se déroule pendant treize ans (1701-1714) dans toute l’Europe et oppose l’Espagne et la France à l’Angleterre, à l’Autriche, à la Prusse, aux Pays-Bas, au Portugal et à la Savoie, qui joignent leurs forces en faveur de l’archiduc Charles pour éviter que l’Espagne et la France ne puissent s’unir. Pour la première fois, l’Espagne lutte aux côtés de la France contre ses anciens alliés de l’époque impériale : les Habsbourg d’Autriche.

Après quelques victoires des troupes françaises dues principalement au brillant commandement de Vendôme et de Villars, le conflit tourne à l’avantage de l’autre camp, où s’illustrent deux grands généraux : le duc de Marlborough* et le prince Eugène de Savoie. Les troupes de Louis XIV subissent de sanglantes défaites en Italie, en Allemagne et en Flandre, les Anglais s’emparent de Gibraltar (1704) et de Minorque (1708), et l’archiduc Charles débarque à Barcelone. Pensant qu’il serait davantage enclin à respecter leurs privilèges, les Catalans et les Valenciens le reconnaissent pour roi. Alors qu’après les désastres d’Oudenaarde (1708) et de Malplaquet (1709) la cause défendue par Louis XIV semble perdue, la majorité du peuple espagnol se prononce en faveur de Philippe V, changeant ainsi le cours des événements.

L’archiduc Charles parvient à deux reprises (1706 et 1710) à pénétrer dans Madrid, mais il doit finalement abandonner la ville et se réfugier en Catalogne après avoir été battu à Brihuega et à Villaviciosa (1710). L’attitude des Anglais, qui souhaitent mettre un terme au conflit, et la mort de l’empereur Joseph Ier (1711), qui est remplacé par son frère l’archiduc Charles, entraînent la signature de la paix d’Utrecht (1713-1715), que les Autrichiens entérinent à Rastatt (1714).

L’Espagne accorde à l’Angleterre Gibraltar et Minorque ainsi que certains privilèges relatifs au commerce avec les colonies espagnoles d’Amérique ; elle cède à l’Autriche les Pays-Bas, le Milanais, Naples et la Sardaigne, et la Sicile au duc de Savoie. C’est ainsi que l’Espagne se voit réduite à ses frontières naturelles, en dehors de ses possessions dans le Nouveau Monde et en Océanie ; elle perd sa prépondérance en Europe. Les Catalans ne déposent les armes qu’à la suite de la conquête de Barcelone en septembre 1714.


Les Bourbons

Avec Philippe V, les Bourbons s’installent en Espagne, où leur influence se fait immédiatement sentir. En effet, tout ce qui est français est particulièrement prisé, aussi bien dans le domaine des arts, des sciences et du goût que dans celui de la politique intérieure. Français sont aussi les Premiers ministres du nouveau roi, comme Jean Orry (1652-1719), réformateur et réorganisateur des finances de 1702 à 1715.

Le souverain est sous l’empire de l’autoritaire Marie-Louise de Savoie (1688-1714), qu’il a épousée en 1701 et qui est conseillée par la princesse des Ursins (1642-1722) : elles défendent toutes deux les intérêts de Louis XIV. En décembre 1714, Philippe V se remarie avec Élisabeth Farnèse (1692-1766) ; celle-ci fait entrer à la Cour l’abbé italien Julio Alberoni (1664-1752), qui va fidèlement exécuter la politique de la reine. Cette dernière désire annuler les traités d’Utrecht et de Rastatt en ce qui concerne les territoires italiens afin de donner à ses enfants, Charles (le futur Charles III* d’Espagne) et Philippe, la couronne des anciennes possessions espagnoles. Alberoni envoie deux expéditions en Sardaigne (1717) et en Sicile (1718). Après l’échec de la conspiration de Cellamare en France (v. Régence), Anglais (28 déc. 1718) et Français (9 janv. 1719) déclarent la guerre à l’Espagne. Vaincu, Philippe V doit renvoyer Alberoni (19 déc. 1719) et adhérer à la Quadruple-Alliance (France, Angleterre, Provinces-Unies, Autriche).

En janvier 1724, Philippe V abdique en faveur de son fils aîné Louis, qui meurt quelques mois plus tard, obligeant son père à assumer de nouveau le pouvoir.


Le second règne de Philippe V

Philippe V est dominé une fois de plus par sa femme, qui n’a pas renoncé à son intention d’obtenir pour ses enfants les territoires italiens. Johan Willem Ripperdá (1680-1737), aventurier d’origine néerlandaise, s’attire la faveur royale et est nommé Premier ministre en 1725 ; mais il est destitué et incarcéré dès 1726. L’infant Charles entre en possession des duchés de Parme et de Toscane (1732).

En Afrique, une escadre espagnole s’empare d’Oran et de Mers el-Kébir. La fin du règne de Philippe V voit le resserrement des liens entre l’Espagne et la France par la signature du premier pacte de Famille (1733) en vertu duquel les Espagnols prennent part à la guerre de la Succession* de Pologne (1733-1738) en faveur de Stanislas Leszczyński. Aux termes du traité de Vienne (1738), le prince Charles échange ses duchés contre les royaumes de Naples et de Sicile.

L’Espagne doit de nouveau faire la guerre à l’Angleterre (1739), qui s’adonne à la contrebande en Amérique. L’amiral britannique Vernon réussit à prendre Portobelo (Panamá) en 1739, mais ne peut vaincre à Cartagena (Colombie), en 1741, la résistance des troupes de Blas de Lezo. Le second pacte de Famille (1743) entraîne le pays dans la guerre de la Succession* d’Autriche (1740-1748).

Philippe V introduit en Espagne un changement capital dans les droits à la succession : il promulgue la loi salique (1712), qui abroge la loi de « las Partidas » : celle-ci permettait aux femmes de monter sur le trône. S’inspirant des institutions françaises, le roi crée la Bibliothèque royale (1711), l’Académie royale de langue (1713) et l’Académie royale d’histoire (1738).

La seconde partie du règne est placée sous le signe des réformes administratives réalisées par deux ministres : José Patiño (v. 1666-1736), qui, à partir de 1726, remanie la marine et l’armée et favorise le commerce avec l’Amérique ; José del Campillo (1693-1743), qui gouverne de 1736 à 1743.

Misanthrope au point d’en être à demi fou et extravagant jusqu’à voyager avec sa cour dans les villages andalous, où il dort le jour pour vivre la nuit dans un laisser-aller surprenant, Philippe V meurt quelques jours après avoir reçu la nouvelle de la défaite des Espagnols par les Autrichiens devant Plaisance (1746). Il laisse le pays, engagé dans une guerre absurde et vouée à l’échec, exsangue et financièrement ruiné. Les Castillans, qui lui ont tout sacrifié trente-cinq ans plus tôt, finissent par le mépriser et même par le haïr.

R. G.-P.

➙ Bourbon / Espagne.