Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Philippe III le Bon (suite)

Les institutions de cet État composite devaient être très centralisées pour compenser la dispersion des esprits et des intérêts. Tâche difficile : Philippe le Bon se heurta, pendant presque tout son règne, à l’individualisme flamand, encouragé en sous-main par Charles VII. Anvers (1435), Bruges (1436-1438), Gand (1449-1453) prirent les armes, mais elles se jalousaient trop pour s’unir et elles se laissèrent abattre l’une après l’autre, Gand la dernière après le massacre de sa milice à Gavere (23 juill. 1453). Philippe le Bon conserva partout les états provinciaux qui autorisaient la levée des taxes, les dialectes locaux restèrent en usage, quatre chambres des comptes fonctionnèrent séparément à Dijon, Lille, Bruxelles, La Haye. Il leur superposa des organes imités des structures françaises : un Grand Conseil siégeant à Dijon, un chancelier, un receveur général et il imita les compagnies d’ordonnance de Charles VII. Comme il supportait mal le parler flamand, il prescrivit l’usage du français dans le gouvernement central. Peu enclin au travail, il s’entoura de « légistes », dont le plus remarquable fut, de 1422 à 1462, Nicolas Rolin, né à Autun, chancelier et Premier ministre de fait ; il ouvrit des pépinières d’administrateurs en fondant les universités de Dole et de Louvain. Il eut aussi des favoris, qui jouirent du plus grand crédit, les Croÿ surtout, d’ancienne famille picarde. Toutefois, il maintint sa noblesse dans une domesticité brillante et ruineuse, réglée par l’étiquette pointilleuse des Honneurs de la Cour. Féru de chevalerie, il fit le beau geste de payer la rançon de Charles* d’Orléans et il fonda l’ordre de la Toison d’or.

Philippe le Bon délaissa Dijon pour Bruges et Bruxelles, où il éblouissait l’Occident par sa prodigalité, sa vaisselle de 30 000 marcs d’argent, un costume de 400 000 écus d’or, des chasses, des tournois, des fêtes à profusion. La plus célèbre, le vœu du Faisan, eut lieu à Lille le 17 février 1454 et eut pour prétexte le désir apparent de Philippe le Bon de partir pour la croisade. Le festin, enrichi d’« entremets », fastueux, se termina par l’entrée d’un éléphant portant « Sainte Église » en deuil ; le duc et ses chevaliers jurèrent alors sur un faisan vivant de chasser le Turc de Constantinople ; ils accompagnaient leur serment de vœux burlesques — mais aussi de restrictions qui leur permirent de se dérober. Philippe le Bon avait également le sens du beau et se conduisit en mécène averti. Il réunit une superbe collection de manuscrits, la Bibliothèque de Bourgogne (à Bruxelles), car il entretenait des ateliers de calligraphes, d’enlumineurs, de chroniqueurs comme Georges Chastellain (v. 1405-1475) et Olivier de La Marche (v. 1426-1502) ; on imprima pour lui, à Cologne, en 1466 ou 1467, le premier livre en français, le Recueil des histoires de Troyes. Autour de lui se développa une des plus grandes écoles d’art de l’histoire, qui vit apparaître les chefs-d’œuvre des tapissiers de haute lice, les peintures de Hans Memling*, Van* Eyck, Rogier Van* der Weyden ; on attribue à ce dernier un beau portrait, sans doute très ressemblant, de Philippe le Bon. À Dijon, le duc fit construire la salle « des Gardes » du palais, justement renommée, ainsi que le tombeau de Jean sans Peur et de Marguerite de Bavière.

Dès son avènement, Louis XI multiplia les démarches pour obtenir le rachat des villes de la Somme, prévu au traité d’Arras. Grâce aux bons offices, largement payés, des frères Antoine et Jean de Croÿ, il finit par arracher la convention de vente, au prix convenu (1463). Cet accord ajouta à la discorde du comte de Charolais — le futur Téméraire, déjà brouillé avec les Croÿ — et de son père ; cependant, le 13 avril 1465, Charles obtenait le pouvoir et se débarrassait des Croÿ. Une guerre inexpiable avec Louis XI, qu’il combattait dans la ligue dite « du Bien public », devenait inévitable. Philippe le Bon ne la vit pas : il mourut le 15 juin 1467.

Il est vain de s’interroger sur les chances de vie du grand dessein de Lotharingie. Mais on peut affirmer que l’État bourguignon faisait dangereusement obstacle à la formation de l’unité française et que Louis XI ne pouvait faire autrement que d’abattre par les armes un prince issu de la famille. Quant au souverain que fut Philippe le Bon, on devrait à bon droit le nommer le Magnifique puisqu’il s’égalait, en Occident, aux princes mécènes italiens du Quattrocento.

L’ordre de la Toison d’or

Il est dédié à la Vierge et à saint André, et voué à la pratique des vertus chevaleresques ; Philippe le Bon le créa, à Bruges, le 10 janvier 1430, jour de son mariage (le troisième) avec Isabelle de Portugal et en son honneur. L’ordre n’est conféré qu’aux souverains et aux gentilshommes « de nom et d’armes sans reproches » ; les différends entre ses membres (d’abord vingt-quatre, puis, à partir de 1433, trente chevaliers groupés autour du grand maître) sont réglés sans appel selon un code d’honneur très strict. Le mariage de Marie de Bourgogne, fille du Téméraire, avec l’archiduc Maximilien (1477), fit d’un Habsbourg le grand maître de l’ordre, qui suivit Charles Quint en Espagne. En 1700, à l’avènement des Bourbons, les Habsbourg firent revivre l’ordre à Vienne malgré les protestations de Philippe V. La division en deux branches se perpétua, celle de Vienne restant exclusivement catholique, celle de Madrid acceptant des protestants. Les insignes consistent en un collier garni de briquets lançant des flammes et en forme de B (Bourgogne), ou en un large ruban rouge supportant un bélier d’or. Depuis 1918 (Autriche) et 1931 (Espagne), l’ordre n’est plus conféré.

A. J.

➙ Bourgogne / Cent Ans (guerre de) / Charles VII / Charles le Téméraire / Flandre / Louis XI / Pays-Bas / Valois.