Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Philippe II Auguste (suite)

La bataille de Bouvines (27 juill. 1214)

Philippe Auguste concentra ses forces à Péronne, Otton les siennes à Valenciennes. Les Français firent mouvement du 23 au 26 juillet sur Tournai, pour couper l’ennemi de la mer et de ses alliés anglais ; les coalisés ripostèrent en se portant sur la très forte position de Mortagne, à 20 km au sud de Tournai. Menacé d’être tourné à son tour, Philippe Auguste se replia sur Lille le dimanche 27 juillet ; une partie de l’armée, les milices des communes notamment, avait déjà franchi le pont de Bouvines sur la Marcq lorsque l’on apprit que les Impériaux attaquaient l’arrière-garde. En effet, prévenus de la retraite, ils avaient tenté de prendre les Français de flanc. Le roi décida d’accepter la bataille sur ce plateau favorable à la cavalerie et rappela sa tête de colonne, qui repassa le pont et rejoignit le gros à temps, malgré une chaleur accablante.

Les deux armées s’alignèrent d’est en ouest sur un front d’environ 2 km. Au nord, avec le soleil dans les yeux, les Impériaux : l’empereur et sa chevalerie saxonne au centre, couvert par l’infanterie des communes, à l’aile droite Renaud et Guillaume de Salisbury avec les Brabançons et les Anglais, à l’aile gauche Ferrand et le comte de Hainaut. Les Français, moins nombreux, étirèrent leur front ; au centre, tardivement renforcés par les milices des communes, Philippe Auguste et ses fidèles, comme Guillaume des Barres et son chapelain Guillaume le Breton, qui a laissé un vivant récit de l’action dans sa Philippide ; à droite, le comte de Champagne et le duc de Bourgogne ; à gauche, Robert de Dreux. Avant le combat, Philippe rappela à ses hommes qu’ils combattaient avec Dieu contre un excommunié. La mêlée, terrible choc frontal, dura de midi à la chute du jour. L’aile droite, habilement commandée par frère Guérin, rompit les Flamands après un corps à corps de trois heures. Au centre, le roi, désarçonné, fut sauvé de justesse ; Otton, jeté à terre et à demi étranglé par Guillaume des Barres, prit la fuite, et le reste des siens se débanda. Restait la droite des coalisés, qui fut écrasée à la nuit tombante dans un assaut général, et les Brabançons, massacrés jusqu’au dernier. Ferrand et Renaud restaient prisonniers. Pour l’histoire militaire, on notera que : 1o la manœuvre à longue distance sur les lignes de communications ennemies est de saine stratégie ; 2o sur le terrain, la contremarche et le regroupement de l’armée française furent exécutés rapidement et en bon ordre ; 3o Bouvines fut avant tout une bataille de cavalerie, et l’infanterie des communes royales fut loin de jouer le rôle décisif que la tradition lui prête.


Philippe Auguste et la pénétration capétienne en pays de langue d’oc

Le nord de la France avait reçu en priorité l’attention et les forces de Philippe Auguste, mais il n’avait jamais perdu de vue le Midi, où, depuis 1209, son vassal Simon de Montfort menait contre les albigeois la croisade ordonnée par Innocent III. Dévot et ennemi de l’hérésie, Philippe souhaitait évidemment le succès de l’expédition, mais avec le secret espoir d’en tirer profit. Il s’imposa toutefois, ici encore, une artificieuse modération ; pour ménager l’avenir, il permit à Louis de prendre la croix en 1213, puis de paraître deux fois parmi les croisés en 1215 et en 1219. Alors l’imprévu vint une fois de plus à son aide : Simon s’étant fait tuer en 1218 sous les murs de Toulouse, son fils Amaury, partout vaincu, dut conclure une trêve (1222). Dès cet instant, on pouvait prévoir la cession de ses droits au roi de France ; elle eut lieu effectivement en 1224 : après avoir atteint la mer, le domaine royal touchait maintenant aux Pyrénées ! Philippe Auguste, il est vrai, n’avait pu que pressentir ce dernier triomphe : le grand rassembleur de terres françaises était mort l’année précédente, le 14 juillet. Pour rappeler ce qu’il avait acquis de son vivant, disons : l’Artois, l’Amiénois, le Valois et le Vermandois, une partie du Berry, la plus grande partie de l’Auvergne, la Normandie, presque tout l’Anjou, la majeure partie du Poitou. L’Empire angevin était ruiné à jamais et il ne restait plus que quatre grands fiefs à surveiller : la Flandre, la Bretagne, la Bourgogne et la Champagne. Encore finit-il par les tenir en tutelle.


Philippe Auguste et le gouvernement du royaume


Le roi et les féodaux

Ses succès, qui tenaient du prodige, avaient donné au Conquérant une autorité que personne n’osait discuter : au point qu’il jugea inutile, pour la première fois dans l’histoire de sa dynastie, de faire sacrer de son vivant son successeur. Sans doute, il jugea bon, dans ses nouveaux domaines, de multiplier les honneurs, les privilèges, les prébendes. Mais partout la petite féodalité s’empressait de se lier à lui par le procédé du pariage, contrat qui associait les fonctionnaires royaux à ceux du fief ; l’inégalité entre les contractants rendait inévitable l’absorption finale. Dans les fiefs importants, le roi fit prévaloir sa volonté : en s’opposant aux mariages qui lui portaient ombrage, en supprimant, à l’occasion des successions, les vassalités intermédiaires, en soumettant les grandes baronnies au droit de « relief » (mutation). Il affirme le principe que « chacun tient du roi, le roi ne tient de personne » et en tire toutes les conséquences que lui suggère son esprit logique et légaliste : en ce sens, il est le type du roi féodal, seigneur des seigneurs, souverain « fieffeux » du royaume. C’est dire qu’il rejette absolument les prétentions de l’empereur à une suzeraineté éminente et qu’il résiste sourdement aux ingérences de la papauté dans son gouvernement. S’il dut, à plusieurs reprises, céder à Innocent III, il lui arracha aussi bien des concessions et agit plus d’une fois en souverain laïque et indépendant.


Le roi et la bourgeoisie

Pratique et méfiant (même à l’égard de son fils), il favorisa la bourgeoisie, dont il discerna la puissance montante. Il invita les notables des villes libres aux assemblées de barons et d’évêques ; il choisit ses conseillers parmi des gens de condition modeste et, en même temps, supprima ou laissa vacants les grands offices de sénéchal et de chancelier. C’est de lui que les « marchands de l’eau » parisiens reçurent les privilèges qui annoncent leurs fonctions de corps municipal (v. Paris). Ailleurs, il protégea le commerce contre les péages et accorda même sa protection aux étrangers. Par une originalité plus grande encore, il confirma ou créa de nombreuses chartes de communes ou de villes libres : il y voyait le moyen d’affaiblir les seigneuries locales, de percevoir des subsides, d’organiser des points d’appui fortifiés. Les communes n’avaient pas trouvé avant lui, même en Louis VI le Gros, un protecteur aussi agissant, et n’en retrouveront pas après lui.