Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Philippe II Auguste (suite)

Dès lors, le souverain put se consacrer à ce qui fut la grande pensée du règne, la destruction de l’Empire angevin en France, trois fois plus vaste et plus peuplé que le domaine royal. Il avait bien vu les faiblesses internes du colosse : l’hostilité des Bretons et des Aquitains, les discordes sordides des quatre fils d’Henri II et de leur père, les rivalités de ces quatre frères entre eux. Au terme d’une guerre d’escarmouches et de pillages, Henri II, vaincu et contraint à la capitulation d’Azay-le-Rideau le 4 juillet 1189, mourut à Chinon le 6 juillet. Le principal allié de Philippe avait été l’héritier de la couronne d’Angleterre, Richard* Cœur de Lion. Mais le danger grandissait encore, car, à un roi malade et découragé, succédait un homme jeune et d’une éclatante bravoure. Plus que jamais, il fallait dissimuler. Les deux rois partirent pour la troisième croisade (seuls rois de France et d’Angleterre à avoir jamais combattu sous la même bannière) ; les renforts qu’ils amenaient déterminèrent les défenseurs d’Acre à capituler le 13 juillet 1191. Mais, alors que Richard, paladin de peu de jugement, s’attardait en assauts de chevalerie avec Saladin, Philippe rentrait en France sous prétexte de maladie pour perpétrer avec Jean sans Terre*, frère de Richard, la perte de son aîné. Quand celui-ci, comprenant qu’il était berné, reprit la route de son royaume, il fut fait prisonnier en décembre 1192 par le duc Léopold d’Autriche, et Philippe ne négligea ni les prières ni l’argent pour persuader l’empereur de prolonger indéfiniment sa captivité. Richard reparut cependant en mars 1194 en Angleterre et entreprit aussitôt de se venger. Vaincu peu après à Fréteval, bataille au cours de laquelle il perdit les archives de la royauté, puis défait à Courcelles en 1198, Philippe Auguste fut sauvé in extremis par la disparition de son adversaire, tué au siège du château de Châlus, en Limousin en avril 1199.


Le conflit avec Innocent III

La situation du roi de France avait paru d’autant plus critique qu’il avait commis l’imprudence de se brouiller avec la papauté. Isabelle de Hainaut était morte en 1190, laissant un fils de trois ans, le futur Louis VIII. Philippe se remaria avec la sœur de Knud IV, roi de Danemark, Ingeburge (ou Isambour, en dan. Ingibjørg), princesse accomplie d’après les contemporains. Dès le lendemain des noces (15 août 1193), le roi manifesta pour sa femme une invincible aversion. Un conseil de barons et d’évêques complaisants prononça le divorce sous le prétexte indéfendable d’une parenté prohibée. Alors, Philippe épousa une Bavaroise, Agnès de Méran. Dès son avènement, Innocent III enjoignit à Philippe Auguste de rendre à Ingeburge son rang de reine légitime (1198) ; puis, devant sa résistance obstinée, il lança l’interdit sur le royaume de France. Le roi dut céder, mais il ne se rendit vraiment qu’en 1213 ; Ingeburge fut enfin traitée sinon en épouse, du moins en reine après vingt ans de captivité. Innocent III avait légitimé les deux enfants d’Agnès (morte dès 1201), Philippe « Hurepel » et Marie ; cette concession surprenante donnait à Philippe Auguste un autre successeur au cas où le prince royal, de faible santé, disparaîtrait.


Le conflit avec Jean sans Terre et l’affaiblissement des Plantagenêts

Richard avait désigné pour son successeur son cadet Jean sans Terre, aux dépens de leur neveu Arthur de Bretagne, fils de Geoffroi, prédécédé. Jean, veule et pervers, fut incapable de profiter des difficultés conjugales de Philippe Auguste. Celui-ci, au contraire, mettait au service de sa malignité naturelle une énergie inlassable et l’art de s’assurer l’apparence du droit. Selon son système favori, il prit le parti d’Arthur et mena contre Jean une guerre d’escarmouches, jusqu’à la paix très avantageuse du Goulet (22 mai 1200) : Jean se reconnaissait vassal du roi de France, cédait Évreux, une partie du Vexin normand, Issoudun, la suzeraineté de l’Auvergne et du Berry et mariait sa nièce Blanche de Castille à Louis de France ; en revanche, la Normandie et la suzeraineté de la Bretagne lui étaient reconnues. Philippe avait oublié son protégé ! Peu après, Jean sans Terre enleva la fille du comte d’Angoulême, Isabelle, fiancée de Hugues IX de Lusignan, comte de la Marche, et l’épousa, au grand scandale des Aquitains. Ceux-ci portèrent leur plainte devant la cour du roi, qui condamna in absentia le roi d’Angleterre pour félonie le 28 avril 1202 : Jean perdait tous ses droits sur ses fiefs en France. Philippe Auguste, enchanté d’agir légalement, s’empressa d’exécuter la sentence. Jean ajouta alors à ses crimes l’assassinat d’Arthur (avr. 1203). Il alla de désastre en désastre : il perdit la Normandie après la chute du Château-Gaillard (6 mars 1204), puis le Maine, l’Anjou, la Touraine et le Poitou, définitivement assujetti en 1208 ; il était réduit, en France, à la possession de la Guyenne. Il parvint cependant sans peine à former une coalition contre un roi dont la brusque élévation rompait l’équilibre des forces en Occident : on y voyait Ferdinand (Ferrand) de Portugal, comte de Flandre, Renaud de Dammartin, comte de Boulogne, et des étrangers comme le comte de Hainaut et l’empereur Otton IV (excommunié, depuis 1210). L’offensive commença en 1214 par le nord et par le sud. Jean sans Terre assiégea La Roche-aux-Moines, près d’Angers : son armée se dispersa sans combat à l’arrivée des secours commandés par Louis de France (2 juill.). Presque en même temps, Philippe Auguste remporta, au nord, à Bouvines, une victoire complète. Peu de victoires ont eu, dans l’histoire, d’aussi vastes conséquences. En France, l’enthousiasme général fit comprendre clairement que des temps nouveaux commençaient : nous dirions aujourd’hui qu’une nation venait de naître. En Allemagne, Otton IV perdit sa couronne au profit du prétendant à l’Empire, Frédéric de Hohenstaufen, protégé d’Innocent III. Jean sans Terre fut accueilli chez lui par l’insurrection des barons et du haut clergé, qui lui imposèrent la Grande Charte (1215) ; devant sa résistance, appuyée par la papauté, les rebelles firent appel à Louis de France, son neveu par alliance. Philippe Auguste, qui soutenait en sous-main son fils, voulait à son habitude se poser en justicier : il fit courir le bruit mensonger que Jean, condamné à mort par la Cour des pairs du roi de France pour le meurtre d’Arthur, était déchu de ses droits au trône. Alors seulement, il laissa son fils s’engager dans l’aventure (1216). Elle prenait bonne tournure lorsque Jean sans Terre mourut subitement, le 19 octobre, laissant un fils de neuf ans, Henri III, que l’on ne pouvait charger des crimes de son père. Louis parut dès lors mener une guerre injuste contre un vassal mineur ; excommunié, battu à Lincoln, il n’eut plus qu’à renoncer à ses « droits » en septembre 1217.