Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Phéniciens (suite)

Mais ces cités-États et même la totalité de la Phénicie ne constituent pas un ensemble économique équilibré, faute de place pour l’expansion de la population agricole et de certaines matières premières (comme les métaux) pour l’artisanat local. D’autre part, comme l’ensemble du couloir syrien, la Phénicie, politiquement morcelée du fait de sa géographie, attire les conquérants étrangers. Pour les besoins des rois locaux et surtout pour le tribut exigé par les empires égyptien ou asiatiques, les Phéniciens doivent continuer la tradition des Cananéens : ils développent et perfectionnent leur artisanat en empruntant les techniques des autres civilisations et, puisqu’il faut absolument importer du ravitaillement et des matières premières rares, ils se spécialisent dans le commerce en exploitant leur situation privilégiée sur le littoral de cette zone de passage qu’est le couloir syrien.

Aussi est-ce en dehors de la Phénicie que l’on trouve les documents qui permettent d’apprécier pleinement l’habileté des Phéniciens. Dès le xe s., les Tyriens et les Giblites sont réputés, au témoignage de la Bible, comme constructeurs et décorateurs, qu’il s’agisse de la pierre, du bois, du bronze, de la pourpre ou de l’or, et on leur doit l’essentiel du Temple et du palais de Jérusalem*. Salomon (v. 970-931) a également besoin des Tyriens, les meilleurs marins du temps, pour guider sa flotte, qui, partie d’Asion-Gaber (Eçyon-Geber) [au fond du golfe d’‘Aqaba], va chercher des produits précieux au pays d’Ophir (sans doute un marché de l’Arabie du Sud, où les paiements se font en or). Les héros achéens des épopées homériques recherchent les tissus brodés, les cratères d’argent et les bijoux des Phéniciens et, pour cela, n’hésitent pas à les recevoir dans leurs ports, en dépit de leur mauvaise réputation (ces marins sans scrupule enlèvent les personnes de condition libre pour aller les vendre un peu plus loin comme esclaves). Au vie s., le prophète Ézéchiel nous montre les Tyriens recevant par terre et par mer les productions caractéristiques des peuples du couloir syrien, de l’Arabie, de la Mésopotamie, de l’Anatolie orientale et de Tarsis (sans doute la Tartessos des Grecs), vers l’embouchure du Guadalquivir.

Les fouilles réalisées sur le pourtour de la Méditerranée et dans les régions situées au-delà du détroit de Gibraltar (Maroc, péninsule Ibérique) ont livré des échantillons de ce que les Phéniciens offraient à leurs fournisseurs, en plus des matières premières qu’ils transportaient pour le compte d’autrui. Outre la pacotille qui s’inspire de très près de l’artisanat égyptien (petits bronzes, scarabées, vases et figurines de faïence, récipients de verre, etc.), il y a une abondance d’objets d’une réelle valeur artistique : bijoux des tombes d’Athènes, de Knossós (ou Cnossos), de Tharros (Sardaigne), d’Aliseda (Estrémadure) et du trésor de Carambolo (Séville), bols d’argent gravés de scènes symboliques trouvés à Chypre (Amathonte, Idalion) ou dans le domaine étrusque (Préneste), ivoires des palais assyriens (Nimroud, Arslan Tash) et des tombes de Préneste et de la région de Carmona (Andalousie). Des recherches minutieuses ont permis de distinguer les réalisations des Phéniciens de celles des Égyptiens et d’avoir une meilleure idée de l’art phénicien, que l’on jugeait trop souvent sur une pacotille produite sans beaucoup de soin ni de souci esthétique. L’artiste phénicien, qui se caractérise d’abord par son habileté technique, dépasse très tôt le stade de l’imitation fidèle de l’art égyptien et fait preuve d’originalité en remodelant le trait et la forme qui l’ont inspiré, en réinterprétant les symboles religieux et royaux qu’il a empruntés et en incorporant en outre dans ses compositions bien des traits des arts de l’Asie occidentale contemporaine. Et, voyant mieux maintenant ce que fut cet art de synthèse et de progrès technique, les spécialistes se demandent si les Phéniciens ne sont pas à l’origine de cette architecture caractérisée par les colonnes de pierre et les chapitaux à forme florale ou animale qui, à partir des vii-vie s., se répand en Ionie, en Éolie et en Perse.


L’expansion phénicienne

Le tempérament dynamique que l’on constate dans l’activité économique et la production artistique des Phéniciens fournit aussi la meilleure explication de ce grand mouvement de fondations de villes et de comptoirs, multipliées de la côte du couloir syrien jusqu’au rivage de l’Atlantique. Mais les étapes de cette expansion restent difficiles à situer dans l’histoire du temps ou même les unes par rapport aux autres, car les dates données par les historiens anciens sont généralement invraisemblables, et les objets retirés des fouilles (comme la céramique grossière qui n’évolue guère) sont peu utilisables pour la constitution d’une chronologie. D’autre part, il n’est pas toujours possible de distinguer les villes nouvelles, appelées à vivre sur les ressources de leur terroir, et les comptoirs, où les Phéniciens viennent trafiquer avec les indigènes, qu’ils initient au travail des mines et à la métallurgie.

Le début de ces entreprises a pu être favorisé par la disparition de la flotte de commerce mycénienne et la ruine des villes de Chypre*, frappées par des séismes vers le milieu du xie s. ; peu après, attirés par le cuivre de l’île, les Phéniciens commencent à venir nombreux de Chypre à Salamine. À partir du ixe s., ils fondent des établissements dans l’île, mais comme ils restent presque partout une minorité à côté des Étéochypriotes (indigènes) et des représentants de la civilisation mycénienne qui ont imposé leur domination à Chypre au xiie s., il est très difficile de qualifier une cité de phénicienne, en dehors de Kition (auj. Lárnaka) [fondée un peu avant 800] et de Lapethos (auj. Lápithos). Mais l’empreinte des Phéniciens se reconnaît dans certaines œuvres d’art de l’île et dans le dynamisme commercial des Chypriotes, sans doute de toutes origines, qui s’en vont trafiquer, plus à l’ouest, sur les côtes de la Méditerranée.

Dès le début du ixe s., leur ouvrant la voie, les marins phéniciens abordent le littoral des pays de l’Égée, mais leurs comptoirs n’ont laissé de traces certaines qu’à Rhodes (viie s.).