Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Arioste (l’)

En ital. Ludovico Ariosto, poète italien (Reggio Emilia 1474 - Ferrare 1533).


Ludovico Ariosto, contraint, comme la plupart des intellectuels sans fortune de son temps, à prêter ses services aux princes et à s’expatrier selon leur bon plaisir, aima constamment deux choses par-dessus tout : sa province natale, l’Émilie, et sa liberté, qu’il célébra l’une et l’autre avec une fermeté et un lyrisme familier non indignes d’Horace. Vie sans autre histoire que celle de la patiente conquête, à travers les difficultés matérielles et les servitudes courtisanes, d’une indépendance consacrée tout entière aux plaisirs du cœur et de l’étude. Il s’est à peine affranchi des études juridiques, auxquelles l’avait destiné son père, qu’à la mort de celui-ci (1500) il doit abandonner ses études humanistes pour administrer les biens familiaux et pourvoir à l’éducation de ses neuf frères et sœurs, avant d’être admis, en 1503, parmi les gentilshommes du cardinal Hippolyte d’Este, fils du duc Hercule Ier. De 1503 à 1517 lui sont confiées diverses missions diplomatiques, dont deux, particulièrement importantes, auprès des papes Jules II et Léon X. En 1517, il rompt avec le cardinal Hippolyte, pour avoir refusé de le suivre dans son archevêché hongrois de Buda, et entre au service du duc Alfonso d’Este, frère d’Hippolyte et mari de Lucrèce Borgia. De 1522 à 1525, il est gouverneur délégué du duc dans la province de Garfagnana, où il se distingue dans la lutte contre le brigandage. À son retour, il partage avec ses frères le patrimoine familial et se retire dans une modeste demeure à Ferrare. Entre 1526 et 1530, il conclut un mariage secret avec la Florentine Alessandra Benucci, épouse, puis veuve de Tito Strozzi, dont il s’était épris dès 1513. Il meurt en 1533, moins d’un an après la troisième et définitive édition de son chef-d’œuvre, le poème épique du Roland furieux, entièrement revu et augmenté de six chants par rapport aux précédentes éditions de 1516 et de 1521.

L’ampleur et la célébrité de ce chef-d’œuvre masquent d’ordinaire les œuvres dites « mineures ». L’examen de celles-ci révèle cependant la rigoureuse continuité et la cohérence de la création ariostesque. Outre le Conto dei contadini, simple registre administratif, et l’Erbolato, caricature des médecins du temps, d’authenticité contestée, l’activité littéraire mineure de l’Arioste se décompose comme suit. Des Poésies latines d’abord, qui datent pour l’essentiel de la formation humaniste de l’auteur (1494-1503) et définissent déjà l’art de l’Arioste comme une technique créatrice. Ses Rimes en italien (1494-1516) opèrent une fusion stylistique de Pétrarque et des lyriques latins.

Son activité théâtrale (1508-1531) coïncide avec la période qui va de la rédaction des premières octaves à la dernière édition du Roland furieux. Activité liée à la brillante civilisation courtisane de Ferrare, qu’illustraient alors Cosmè Tura, Francesco Del Cossa, Ercole de Roberti, Dosso Dossi et, à l’occasion, Raphaël et Titien. L’Arioste veillait de près aux décors et à la mise en scène de ses pièces, où il apparaissait quelquefois dans le prologue. L’étonnante réussite de la mise en scène du Roland furieux, par E. Sanguineti et L. Ronconi, au festival de Spolète (1969), est une preuve éclatante, s’il en était besoin, des ressources que l’Arioste sut tirer, pour son poème épique, de son expérience théâtrale. La Cassaria en prose (1508) est la première en date des comédies italiennes de la Renaissance. Construite par contamination de diverses comédies latines, elle innove par une recherche du comique empruntant à la vivacité du langage populaire toscan, voire du dialecte émilien. Elle sera émondée et versifiée en 1531. Lui font suite I Suppositi (en prose : 1509 ; en vers : 1528-1531), La Lena (1528), encore aujourd’hui la plus jouée, et Il Negromante (1re rédaction : 1520 ; 2e rédaction : 1528). I Studenti, commencée en 1518, restera inachevée. Les Satires (1517-1525) mêlent l’autobiographie et la réflexion morale, sur le modèle des Epîtres d’Horace et sur un ton oscillant entre le dédain amer et l’idylle du souvenir. Les Lettres, enfin, pour lesquelles les contemporains du poète ne manifestèrent guère de curiosité et que lui-même, d’ailleurs, ne destinait pas au public, ont surtout valeur de document, en particulier sur la période du commissariat de l’Arioste en Garfagnana.

La matière du Roland furieux préexiste presque tout entière à l’invention ariostesque. Celle-ci puise aux principaux cycles chevaleresques médiévaux, par l’intermédiaire du Morgante (1481) de Luigi Pulci et de l’Orlando innamorato (1495) de Matteo Maria Boiardo. Alors que Pulci et Boiardo prennent encore à la lettre l’idéal et le monde chevaleresques, l’un dans une perspective de polémique réaliste et agressive, l’autre de nostalgie candide et irrationnelle, l’Arioste n’y cherche qu’un prétexte à tisser mille aventures merveilleuses distanciées par l’ironie et l’harmonie poétique. Seuls les Cinq Chants, auxquels il travailla à partir de 1517 et qu’il se proposait d’ajouter à l’édition de 1521, trahissent une volonté d’identification pessimiste, dans la ligne de Pulci, mais ils restèrent inédits. De l’édition de 1521 à celle de 1532, l’Arioste affina linguistiquement son poème sous l’influence du puriste « toscanisant » Pietro Bembo. Mais ces corrections ne sont pas systématiques, et l’Arioste ajouta même de nouveaux tours dialectaux. La grande nouveauté thématique du poème est l’introduction de la folie amoureuse de Roland, abandonné par Angélique. Le poème relate en outre l’expédition du roi païen Agramant contre Charlemagne et ses preux, et les amours de Roger et Bradamante, dont l’union sera à l’origine de la maison d’Este. Renaud, Astolphe et Marphise, Sacripant, Rodomont, les magiciens Alcine et Atlant sont les autres personnages les plus célèbres d’une œuvre aussi riche en comparses qu’en rebondissements, auxquels s’entremêlent réflexions morales, hommages à la famille d’Este et allusions à l’histoire contemporaine. L’octave, « monade heureuse », assure à ce poème extraordinairement dispersé son unité esthétique.

J.-M. G.

➙ Comédie / Epopée / Humanisme / Italie.