Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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pétrole (suite)

La découverte d’un gisement coûte cher et nécessite l’emploi d’un personnel à haute technicité et de matériels délicats. L’exploitation est beaucoup moins gourmande : la pression des gaz suffit généralement à faire remonter le brut en début d’exploitation. Par la suite, il faut le pomper. On choisit une cadence d’extraction qui permette de récupérer le pourcentage le plus élevé de pétrole, ce qui conduit à opérer lentement, mais il ne faut pas laisser dormir trop longtemps les immobilisations. Le rythme optimal est choisi de manière à équilibrer les deux impératifs.

La prospection et la mise en valeur des gisements supposent des moyens puissants, une structure très concentrée des entreprises. Celle-ci est également nécessaire pour inventer et développer toutes les techniques utilisées. L’industrie pétrolière est une de celles où le gigantisme a conduit à des investissements de recherche importants et à un progrès incessant. Cependant, des entreprises moyennes peuvent réussir dans le domaine du forage et de l’exploitation. Il suffit que la législation leur soit favorable : aux États-Unis, par exemple, où le sous-sol appartient au propriétaire du sol, il existe un nombre important de petites firmes que les mesures de soutien des prix et de restriction de l’extraction ont sauvées de la concentration et de l’absorption par les sociétés les plus fortes.

C’est dans le transport et dans le raffinage des produits que les avantages de la grande dimension apparaissent le mieux. La constitution d’une flotte pétrolière coûte cher, mais cela n’entraîne pas nécessairement la concentration : on peut passer par des armateurs indépendants, dont les plus puissants, Niarchos ou Onassis, sont connus de tous. En matière de transports continentaux, il est apparu depuis longtemps que le mode le plus avantageux, pour le brut tout au moins, était l’oléoduc : c’est souvent à ce niveau que les grandes sociétés ont opéré pour prendre le contrôle de la production pétrolière.

Au stade suivant, celui du raffinage, les petites unités, celles qui traitent moins de 1 million de tonnes, peuvent être très efficaces, mais il est alors impossible de se lancer dans certaines opérations délicates, impossible également d’obtenir une masse suffisante de produits pour justifier la création d’industries pétrochimiques. Celles-ci sont nées et se sont développées pour une bonne part sous l’impulsion des laboratoires de recherche des groupes les plus importants.

Il n’est sans doute pas d’industries où la grande entreprise oligopolistique ait montré avec plus d’éclat son efficacité et son dynamisme. Cela explique que le monde pétrolier soit resté longtemps dominé par les pays les glus avancés du monde capitaliste, les États-Unis, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas. L’Allemagne était en train de pénétrer dans le secteur lors de la Première Guerre mondiale, mais elle en fut chassée par la défaite. La France s’y tailla une place modeste entre les deux guerres. En Russie, où l’extraction avait connu un développement spectaculaire avant la révolution, le nouveau régime parvint à retrouver sans trop de mal le niveau antérieur de production, même à le dépasser quelque peu, mais il fallut une génération pour que l’industrie pétrolière d’État devînt réellement aussi dynamique et créatrice que celle des pays capitalistes : c’est vers 1950 que se situe le tournant. Au même moment, on voit aussi se multiplier les entreprises nationales dans les pays moins avancés du monde occidental, puis dans ceux du tiers monde : en Italie (l’Ente nazionale idrocarburi, ENI), au Brésil, au Mexique, en Argentine les sociétés d’État apprennent à gérer les richesses nationales.

Les frais de transport des produits pétroliers sont faibles, si bien que les activités qui naissent de l’utilisation de cette source d’énergie peuvent être situés très loin des champs. Dans une première phase, jusqu’aux environs de 1900, le pétrole est surtout utilisé pour l’éclairage : c’est un produit secondaire. L’invention, puis la mise au point du moteur à explosion et du moteur Diesel changent la situation : le pétrole devient indispensable à l’essor de la circulation automobile, de l’aviation. Il joue un rôle croissant dans la navigation maritime. Comme les produits qui sont alors demandés sont des produits légers, on invente les procédés de craquage, qui permettent de tirer davantage d’essence des bruts. Malgré cela, les produits lourds sont abondants : pour les écouler, on n’hésite pas à les proposer à des prix très bas. Ainsi le pétrole devient-il peu à peu le substitut du charbon dans nombre d’activités industrielles : il alimente les centrales thermiques et, par leur intermédiaire, tous les moteurs électriques ; il fait merveille dans les industries du feu, car sa combustion est facile à régler et à conduire. Enfin, il remplace de plus en plus le charbon comme base de l’industrie chimique de synthèse : sans pétrole, plus de détergents, plus d’étoffes synthétiques à bas prix, plus de caoutchouc artificiel, plus de matières plastiques...

Jusque vers les années 30, les raffineries étaient souvent construites à proximité des gisements, dans les ports d’exportation. Les groupes anglais avaient ainsi construit la raffinerie géante d’Abadan, en Iran, et celle de Curaçao, face aux côtes du Venezuela. On s’est aperçu, par la suite, que ce n’était pas la situation idéale pour les pays importateurs. La plupart d’entre eux tenaient à abriter sur leur territoire une activité qui valorise beaucoup le brut, ce qui réduit leurs besoins de devises. Le transport du brut, homogène, peut se faire plus facilement par grandes quantités que celui de certains produits finis : entre 1930 et 1955, on a donc multiplié les raffineries aux ports de débarquement des importations.

Depuis une quinzaine d’années, l’évolution est allée plus loin. Sur terre, l’oléoduc offre de tels avantages qu’on cherche à rapprocher de plus en plus les raffineries des centres de consommation : on construit des conduites depuis les ports de débarquement des bruts le long de la Méditerranée, depuis l’étang de Berre, Gênes ou Trieste par exemple, et l’on construit les raffineries à Feyzin, à Strasbourg, à Karlsruhe ou à Ratisbonne. On en installe dans la grande banlieue de Paris ou à Rennes. En disposant des installations de taille moyenne en chapelet, il est possible de bénéficier de coûts de transports faibles, tout en accédant à une échelle où les industries dérivées sont possibles.