Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Pétrarque (suite)

La carrière ecclésiastique s’annonçant la plus rapide, il reçoit les ordres mineurs et se gagne les faveurs du cardinal Giovanni Colonna, au service duquel il restera jusqu’en 1347. Les lauriers poétiques, enfin, ne sont pas, il s’en faut, le moindre atout social du jeune Pétrarque, qu’il rime en langue vulgaire sa passion pour Laura, rencontrée pour la première fois, selon la fiction du Canzoniere, le vendredi saint 6 avril 1327 et morte à vingt-et-un ans le 6 avril 1348, ou qu’il entreprenne (entre 1339 et 1341), dans la solitude de sa retraite à Vaucluse, le monumental poème latin de l’Africa et le De viris illustribus, pour lesquels il sera solennellement couronné poète sur le Capitole (8 avr. 1341) grâce à l’appui du docte roi Robert de Naples. Il s’est déjà rendu à Rome auprès des Colonna en 1337, après une longue pérégrination en 1333, en France, en Flandre et en Rhénanie.

À son retour à Avignon, en 1342, il connaît une profonde crise de conscience religieuse, accentuée par la conversion monastique de Gherardo (1343), à qui il rendra de fréquentes visites dans la chartreuse de Montrieux (notamment en 1347 et en 1353). Lui-même se retire de plus en plus souvent à Vaucluse (1342-43, 1346-47, 1351-1353), où il compose le Secretum meum, le De vita solitaria, le De otio religioso, les Psalmi penitentiales et nombre de poésies latines et italiennes qui attestent la nouvelle orientation de sa vie spirituelle. Celle-ci coïncide avec un intérêt croissant pour le sort politique de l’Italie, alors compromis par les rivalités municipales et l’anarchie nobiliaire, ainsi que pour une restauration de l’Église préludant à une régénération de toute la chrétienté. Dès 1335 et 1336, Pétrarque avait adressé deux épîtres latines à Benoît XII pour l’exhorter à rétablir à Rome le siège pontifical, supplique qu’il renouvelle en 1342 à Clément VI. Ses théories politiques présentent, à vrai dire, bien des contradictions, et nombre de revirements marquent son action, au gré des événements, des princes auxquels il prête ses services et des missions qui lui sont confiées. Il n’hésite pas, toutefois, quitte à perdre l’appui des Colonna, à prendre ouvertement parti pour Cola di Rienzo, qui avait instauré à Rome un gouvernement populaire (mai 1347) et en faveur de qui il s’était prononcé à la cour pontificale dès 1342. Il envisage même, un instant, de le rejoindre à Rome. Et ni l’évolution dictatoriale du tribun, ni son écrasement, ni son emprisonnement à Avignon ne le dissuadèrent jamais de défendre avec force ses idées de rénovation morale et politique de la chrétienté à partir d’une réforme radicale des institutions romaines, et surtout son concept centralisateur du rôle politique de Rome dans l’unification italienne.

Las de la corruption de la cour d’Avignon, qu’il fustigera dans ses sonnets et les épîtres Sine nomine (1351-1353), Pétrarque songe à quitter définitivement la Provence. Il s’y décide enfin en 1353 après de brefs voyages à Vérone, à Padoue, à Mantoue et à Florence, qu’il interrompt pour son dernier séjour à Vaucluse (1351-1353), déclinant l’offre qu’en qualité d’ambassadeur de Florence Boccace* lui avait faite de rentrer en possession des propriétés paternelles et d’enseigner à l’université florentine. Contre toute attente, il s’établit à Milan au service des Visconti ; il y demeurera jusqu’en 1361. Chargé de fonctions surtout honorifiques et de missions diplomatiques (à Prague en 1356 et à Paris en 1361), il jouit, en échange, d’une grande aisance matérielle et de longs loisirs, qu’il met à profit pour terminer le Secretum et le De otio religioso, pour établir la version définitive de son Bucolicum Carmen, pour réunir ses Rime en langue vulgaire, ses épîtres en vers et les Familiari, pour entreprendre enfin le De remediis utriusque fortunae et les Trionfi.

En 1361, il fuit la peste qui menace Milan, d’abord à Padoue, puis à Venise, où il est comblé d’honneurs et séjournera de 1362 à 1367. Il y termine le De remediis et met la dernière main aux Familiari ainsi qu’au nouveau recueil des Senili, tandis qu’il compose le De sui ipsius et multorum ignorantia en réponse aux attaques d’un cercle de jeunes averroïstes vénitiens. En 1367, il accepte à Padoue l’hospitalité de Francesco da Carrara († 1393), en compagnie de sa fille Francesca et de son gendre, qui l’assisteront jusqu’aux derniers jours de sa pieuse et studieuse vieillesse. Au séjour de Padoue, il préfère le plus souvent le recueillement de sa petite propriété d’Arqua, sur les collines Euganéennes, sans renoncer pour autant à de fréquents voyages : à Udine en 1368, au-devant de l’empereur Charles IV en guerre contre les Visconti, puis à Milan, pour intervenir auprès de ces derniers, et à Pavie, où il continue jusqu’en 1369 à passer l’été, selon une habitude prise en 1363 ; en 1370, une syncope interrompt un voyage à Rome entrepris pour saluer le pape Urbain V ; en 1372 Pétrarque est à Venise. Et jusqu’à sa mort, dans la nuit du 18 au 19 juillet 1374, soutenu surtout par l’amitié de plus en plus étroite qui le lie à Boccace, il ne cesse d’entretenir et d’élargir par correspondance le très vaste réseau d’échanges culturels auquel il a travaillé toute sa vie, jetant durablement les bases de l’humanisme.

L’essentiel de sa gloire, de son influence linguistique et stylistique tient à son Canzoniere (dit également Rime sparse) en langue vulgaire, dont le dernier état se trouve transcrit dans le manuscrit autographe « Vaticano latino 3195 » intitulé Francisci Petrache laureati poete rerum vulgarium fragmenta. Dès avant 1336, Pétrarque avait songé à rassembler et à ordonner ses rimes amoureuses, qu’il ne cessa toute sa vie d’affiner, et le premier recueil qu’il établit comptait 215 pièces. Le recueil définitif en compte 366 (317 sonnets, 29 chansons, 9 sextines, 7 ballades et 4 madrigaux), articulées en deux sections : In vita di Madonna Laura (1-263) et In morte di Madonna Laura (264-366). À l’exception, en effet, des quelques poèmes d’inspiration politique exaltant la Rome antique ou fustigeant l’envahisseur étranger et la corruption de la cour pontificale, le Canzoniere est tout entier dédié à l’amour du poète pour celle qu’il nomme Laura, Laura-Aurora, Laura-Lauro-Laurea (le laurier : l’arbre et la couronne), Laura-L’Aura (souffle vital et poétique), mais aussi — à deux reprises — Laureta, gracieux diminutif évoquant hors de tout symbolisme une figure féminine concrète, dont l’identité demeure cependant mystérieuse. Si, dans la tradition provençale, Pétrarque recourt à la fiction d’un unique amour idéalisé et s’il fait de cette fiction, dans l’esprit du « dolce stil novo », la métaphore d’une révélation divine (soulignée par la chronologie de la passion amoureuse qui répète littéralement la passion du Christ), il élude la transcendance et la logique du symbole, dans l’analyse des contradictions du désir d’une part, et à travers la répétition obsessionnelle de fantasmes emblématiques d’autre part. Le désordre amoureux ne saurait ni conduire à l’ordre divin (sauf à travers le reniement du repentir) ni surtout le représenter, et la sublimation même du désir de Laura en désir de gloire (Lauro) ne s’accomplit jamais qu’ici-bas. À la fiction réaliste du symbolisme théologique de la Vita nova dantesque, Pétrarque oppose les figures et les emblèmes intemporels de l’aliénation amoureuse.

Les « Rime disperse » ou « extravaganti », autrement dit non contenues dans les Rerum vulgarium fragmenta, sont en partie apocryphes et posent de nombreux problèmes d’attribution qui ne sont pas tous encore résolus.