Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Petipa (Marius)

Danseur et chorégraphe français (Marseille 1818 - Saint-Pétersbourg 1910).


Issu d’une famille d’artistes et de danseurs, il étudie très jeune la musique et la danse dans la classe de son père, Jean Petipa. Le métier de danseur ne le séduisait point, dira-t-il, mais il fait ses débuts à neuf ans au théâtre de la Monnaie à Bruxelles. À seize ans, il est engagé comme premier danseur au théâtre de Nantes. La famille s’installe ensuite à Paris, où Lucien, son frère aîné, est déjà engagé à l’Opéra. Là, Marius étudie avec Auguste Vestris*. Il danse ensuite à l’Opéra de Bordeaux, au Théâtre royal de Madrid, puis, après un court séjour à Paris, il est invité à Saint-Pétersbourg (1847), où il est engagé et qu’il ne quittera plus.

Excellent danseur, à la solide technique, il arrive précédé de la renommée de ses devanciers français, Charles Didelot (1767-1837), Louis Duport (1781-1853)... Apprécié du public et du tsar Nicolas Ier, il est nommé professeur à l’École impériale de danse en 1858, puis maître de ballet au Théâtre impérial en 1859, succédant à Jules Perrot (1810-1892). Sa carrière se divise en deux périodes. Petipa consacre les quinze premières années qu’il passe en Russie à s’assurer la maîtrise de l’école de danse et de la scène du Théâtre impérial. En effet, à cette époque, les danseuses russes évincent tour à tour toutes les étoiles étrangères de passage. Petipa s’enorgueillit de forger le ballet, voire l’école russe de ballet, où il impose la pure tradition de l’école française. Sévère, mais efficace, il parvient à donner un très haut niveau technique aux danseuses. L’activité de Perrot jusqu’en 1859 et les venues régulières de Saint-Léon (1821-1870) à Saint-Pétersbourg de 1859 à 1869 l’obligent à attendre son heure. Et, s’il obtient un premier triomphe avec la Fille du pharaon (1862), ballet qu’il compose d’après le Roman de la momie de Th. Gautier, Petipa doit attendre 1869 pour être le maître absolu et de l’école et du ballet.

Commence alors la deuxième période de sa carrière : Petipa préside à toutes les créations, décide les reprises, les engagements et les promotions ; selon l’usage, le chorégraphe a la haute main sur la mise en scène et sur la musique, les costumes et les décors étant ravalés au rang d’accessoires. La présence en scène de Jules Perrot, de Christian Johansson (1817-1903) et de Marius Petipa revalorise la danse masculine, qui retrouve sa signification. Le danseur est non plus seulement un porteur, mais un élément actif du ballet. Petipa compose des soli pour le protagoniste masculin ; il met en valeur le couple, pour lequel il règle des pas de deux et des variations qui utilisent les possibilités techniques des partenaires.

Moins imaginatif que Perrot ou que Saint-Léon, il sait pourtant mieux que tout autre utiliser le vocabulaire chorégraphique ; la danse pure et la virtuosité éclipsent le mime. L’« ère de Petipa » s’ouvre par un paradoxe. Alors qu’il a toujours cherché à évincer les étoiles étrangères, Petipa se voit dans l’obligation d’accueillir Virginia Zucchi (1847-1930), Pierina Legnani (1863-1923), Carlotta Brianza et le danseur Enrico Cecchetti (1850-1928), qui conquièrent le public par leur fougue et leur brio. Il saura toutefois utiliser cet apport : l’école française et l’école italienne, adaptées aux aptitudes et au tempérament slaves, donneront naissance à ce que l’on a pu appeler l’école russe, dont sont issues toutes les étoiles des Ballets* russes de S. de Diaghilev qui révolutionneront l’art chorégraphique au début du xxe s.

Après le triomphe de la Fille du pharaon, Petipa ne connaît plus le succès, hormis celui de Roxane ou la Belle Monténégrine (1878) : ses compositions, dont l’action dramatique est faible, ne rencontrent pas, en dépit de leur fraîcheur et de leur élégance, la faveur du public.

En 1887, le directeur du Théâtre impérial décide de supprimer le poste de compositeur de musique de ballet, décision qui met un terme à la collaboration de Petipa avec Cesare Pugni (1802-1870) et avec Léon Minkus (1827-1890). Petipa rencontre alors Tchaïkovski, et de cette collaboration naît le chef-d’œuvre de la Belle au bois dormant (1890). Casse-Noisette est à peine ébauché lorsque Petipa, malade, laisse achever la chorégraphie (1892) par son assistant Lev Ivanovitch Ivanov (1834-1901), chorégraphe en second. La version intégrale du Lac des cygnes (qu’il compose avec Ivanov) voit le jour en 1895. Entre-temps, Petipa avait signé avec Ivanov et Cecchetti la chorégraphie de Cendrillon (1893). Avec le compositeur Glazounov, il règle Raymonda (1898), qui réhabilite totalement la danse masculine. Avec le compositeur J. Schenk, il produit Barbe-Bleue (1896) et, avec Riccardo Drigo (1846-1930), il réalise les Millions d’Arlequin (1900). Cette dernière réussite marque le début du déclin de Petipa, désormais très âgé.

Par son talent, sa force, voire ses intrigues, Petipa avait conservé la haute direction du ballet au Théâtre impérial. Mais la jeune génération des Pavlova*, des Karsavina, des Fokine* ou des Gorski, formée en partie par Cecchetti, est impatiente de prendre la relève des anciennes étoiles Preobrajenska, Kchessinskaïa ou Trefilova (v. ballet). De plus, les idées d’Isadora Duncan, la musique de Debussy et de Richard Strauss trouvent écho dans les aspirations des jeunes artistes pétersbourgeois, et la tradition de Petipa apparaît bien dépassée. Un autre directeur du Théâtre impérial, le prince Volkonski, soutenant le courant moderniste, introduit, en 1899, Diaghilev en qualité de « fonctionnaire chargé de missions extraordinaires », tandis que l’avant-garde des peintres s’affirme avec Léon Bakst, Aleksandr Alekseïevitch Golovine, Alexandre Benois... C’est dire la nouvelle orientation prise par l’art en Russie en cette fin de siècle (v. Ballets russes).

On délaisse les ballets de Petipa et, si on les reprend, la chorégraphie en est presque toujours modifiée... Il faudra peu de chose pour pousser le vieux maître à la retraite : celle-ci survient en 1904 après que fut donné son « bénéfice d’adieux » le 19 janvier 1903 au terme de cinquante-cinq ans de service et en dépit du titre honorifique de « maître de ballet à vie » qu’on vient de lui octroyer.

Rêvant encore de ballets et de féeries, Marius Petipa, évincé du plateau de scène, s’éteint en 1910, après avoir publié ses Mémoires (1906).

H. H.