Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

personnalité (suite)

L’unité de la personnalité ainsi que son identité à travers le temps sont d’autres caractéristiques importantes du fonctionnement général d’une personnalité. L’unité se rapporte au fait que les conduites si variées et même conflictuelles d’un même individu sont intégrées et psychologiquement reconnues comme émanant d’un même sujet. Ce fut une découverte importante de la psychologie médicale, dans la seconde moitié du xixe s., que la personnalité peut se dissocier (double ou triple personnalité). Dans le cadre de l’hypnose, on constatait que certains contenus d’expérience pouvaient se séparer de la conscience normale. Ces études ont donné lieu à la mise en évidence, par Freud*, du rôle du conflit dans la dissociation de la personnalité et la personnalité dissociée, où l’état second de la personnalité est devenu l’inconscient à côté du conscient. Des phénomènes de désintégration de l’unité personnelle se manifestent aussi au niveau du corps propre. Mentionnons simplement les cas où le sujet ne reconnaît pas certains de ses membres perçus comme faisant partie de lui-même. En sens opposé, l’image du corps personnel (body image) est généralement si bien établie chez l’adulte normal que certaines sensations, après amputation d’un membre, sont encore localisées dans le membre inexistant.

L’identité de la personnalité avec elle-même à travers le temps doit être considérée dans le contexte des multiples changements réels qui l’affectent. Quoique ces changements soient frappants et quelquefois profonds, il y a aussi une certaine « résistance » au changement, et une tendance à la consistance avec soi-même (self-consistency). Cette identité à travers le temps implique une certaine unité qui, elle aussi, est relative comme nous venons de le voir.

Il n’y a aucun doute que l’identité et l’unité de la personnalité sont fortement suggérées, au niveau phénoménal, par l’unité et l’identité du corps : la personne dans sa Gestalt physique telle qu’elle se présente à nous. Toutefois, nous voulons parler ici de la structure fonctionnelle de l’activité psychique que l’on appelle personnalité et qui ne coïncide pas — nous l’avons souligné plus haut — avec l’individu concret tel qu’il se présente à nous. D’autre part, il semble bien qu’au niveau social et phénoménal l’identité de la personnalité résiste à des changements physiques très radicaux (après des accidents ou des opérations chirurgicales, par exemple). L’identité du contenu psychique de la personnalité — les opinions, attitudes, affections et le comportement en général — est plus importante que l’identité physique phénoménale.

De multiples recherches quantitatives et qualitatives ont montré les changements très réels qui se produisent dans tous les secteurs de la personnalité : dans le domaine du caractère aussi bien que dans celui de l’intelligence et des aptitudes spéciales. On a pu montrer aussi que ces changements et oscillations se situent à l’intérieur de limites relativement étroites. D’autres études, que l’on appelle longitudinales, ont suivi le développement de l’individu au cours des années en examinant soit tel ou tel point — voir le follow-up des plus de quarante ans effectué par L. M. Terman sur un groupe de sujets intellectuellement très doués —, soit l’ensemble des traits de la personnalité, telles les études longitudinales de l’équipe de Berkeley.

On sait que, d’autre part, certaines théories — telles que celles de Freud et d’Adler* par exemple — considèrent les structures affectivo-dynamiques de la personnalité comme pratiquement établies au cours des premières années de la vie de l’individu. En général, on admet que la malléabilité de la personnalité est plus grande au début de la vie, lorsque les formes psychiques sont encore peu différenciées et que l’insertion dans le monde est à peine commencée. La personnalité resterait plus identique à elle-même au cours des périodes ultérieures.

On connaît aussi l’opposition entre les théories qui considèrent la personnalité comme une table rase où l’on peut inscrire ce que l’on veut (malléabilité à l’infini selon le béhavioriste J. B. Watson, cf. supra) et les conceptions qui admettent une structure préexistante, héréditairement transmise et relativement inchangeable (importance des facteurs héréditaires ou constitutionnels dans le tempérament, l’intelligence, etc.).

Toutes ces données et toutes ces conceptions théoriques ne font que souligner et préciser le fait indéniable de l’identité relative de la personnalité à travers le changement. En effet, chaque communication comportementale avec le monde ne succède pas simplement à la précédente et n’est pas remplacée sans plus par une autre qui la suit. Chaque interaction est déjà virtuellement comprise dans — ou au moins activement préparée par — les échanges précédents et elle est incorporée — quoique à des degrés différents — dans une « mémoire » qui en conserve les éléments matériels autant que formels. Cette « mémoire », ou « mnème » — le processus d’apprentissage ou d’acquisition dans son sens le plus général —, permet l’extension et la continuité dans le temps de cette unité de fonctionnement qui caractérise le comportement. Elle transforme la succession des interactions avec le monde en une insertion progressive et stable dans le monde. Chaque communication avec le monde ne se limite donc pas au moment temporel auquel elle s’exécute effectivement : elle procède d’éléments construits progressivement dans le passé et vient s’intégrer à son tour à ce même dépôt qui constitue l’équipement actif (caractère, intelligence, etc.) et le « monde personnel » de la personnalité.

Cette identité en fonction de la consistance et de l’unité du « monde personnel » trouve naturellement son prolongement, son soutien et en quelque sorte aussi sa source dans l’identité sociale. Par identité sociale de la personnalité, nous entendons ici ce que E. H. Erikson a appelé la solidarité qu’éprouve un individu avec les idéals et les valeurs d’un même groupe. La relation entre l’identité personnelle et l’identité sociale est analogue à celle qui existe entre le monde personnel et le monde comportemental objectif de la personnalité. Toutefois, il nous faut introduire ici la complexité de la personnalité intime et de la personnalité publique. Au niveau de la personnalité intime, l’identité sociale peut consister en une solidarité avec d’autres valeurs et d’autres groupes qu’au niveau de la personnalité « publique ». Cette scission peut provoquer un état de crise et une menace pour l’identité et l’unité personnelles. L’identité et l’unité peuvent faire place alors à une « aliénation » à l’égard de soi-même, l’aliénation dont la psychopathologie connaît plusieurs formes et dont le dédoublement de la personnalité pourrait être une illustration. Un problème analogue d’identité et d’unité chancelantes peut se poser lorsque l’opposition ne se produit pas simultanément aux différents niveaux de la personnalité, mais au cours de l’évolution dans le temps. Des transformations profondes et relativement brusques dans les attitudes et le système de valeurs d’une personnalité peuvent déclencher une crise de l’identité personnelle autant que sociale (voir le processus d’acculturation).