Romancier espagnol (Las Palmas, Canaries, 1843 - Madrid 1920).
Sa vocation de romancier naquit avec ses travaux de journaliste et la lecture de Balzac. Son œuvre entend donner un sens à l’histoire de la nation espagnole, depuis Trafalgar (1805) jusqu’à la révolution de 1868 et à la période de la restauration monarchique (à partir de 1875).
Pérez Galdós met en garde la classe moyenne, à laquelle il appartient, contre le glissement vers l’égoïste grande bourgeoisie et l’aristocratie, incivique et souvent dépravée. Heureusement, dit-il, elle est constamment régénérée par le « peuple », ou plus précisément par des individus plus forts, plus aptes issus du peuple. Car le « peuple », masse informe constituée par les « pauvres », joue à la fois un rôle passif et essentiel dans l’histoire. On comprend que cette œuvre connaisse aujourd’hui un regain de faveur dans certains milieux en Espagne et ailleurs. C’est que l’idéologie qui lui est sous-jacente se retrouve — dans des termes sans doute tout à fait différents et même contraires — dans notre monde bouleversé. Comme alors, les petits « cadres » tentent de mobiliser les « masses » populaires, amorphes en soi, afin de conquérir le pouvoir et remplacer les cadres supérieurs, démoralisés ou devenus inefficaces, incapables, disent-ils, d’instaurer un ordre rationnel. C’est sur le plan moral que se présentent, et se présentaient déjà du temps de l’écrivain, leurs revendications : il faut rétablir les valeurs absolues qu’ont dégradées les puissants. Le roman de Pérez Galdós se donne pour but de décrire l’épopée toute humaine, nullement héroïque ou divine, d’individus représentatifs, témoins ou mainteneurs des grandes vertus au milieu d’un monde en proie à la corruption.
Pérez Galdós est l’auteur de 36 romans, de 46 nouvelles historiques intitulées Episodios nacionales (Épisodes nationaux [1873-1879 et 1898-1912]) et d’une bonne douzaine de pièces de théâtre, originales ou transposées de ses romans.
Sa production romanesque passe par trois étapes que séparent ses crises morales, la remise en question de son idéologie et même de simples difficultés matérielles.
• 1867-1879. Les romans, qu’il classe lui-même dans la « première époque », touchent à l’histoire, comme La Fontana de Oro (1867-68) et El audaz : historia de un radical de antaño (1871), donnent dans le fantastique, comme La sombra (1870), ou abordent avec une véhémence manichéenne les grands thèmes de discussions à la mode, le divorce, le mariage interconfessionnel, l’abîme entre les classes, comme Doña Perfecta (1876), Gloria (1876-77), Marianela (1878), La familia de León Roch (1878).
• 1881-1898. Les romans qu’il dit « contemporains » portent en général sur la société, surtout madrilène, de la Restauration ou de peu antérieure. La desheredada (1881) inaugure cette période. La thèse y cède le pas à la description apparemment objective et même scientifique des mœurs sociales et des comportements individuels, à la manière d’Alphonse Daudet et même, dans une certaine mesure, de Zola. La desheredada décrit les maladies qui affligent la société et la déséquilibrent. El doctor Centeno (1883), Miau (1888), Tristana (1892), Misericordia (1897) traitent des classes besogneuses, où Nazarín (1895) va porter la bonne parole. El amigo Manso (1882), Lo prohibido (1884-85) se situent dans les classes privilégiées, où Halma (1895) apporte sa bonne volonté. Les deux mondes coexistent dans Fortunata y Jacinta (1886-87), Ángel Guerra (1890-91) et dans la série des quatre Torquemada (1889-1895). Dans le déroulement du récit, le dialogue prend une place accrue à partir de Realidad (1889), roman qui passera sur la scène dès 1892.
• 1901-1916. Galdós, sensible à l’influence de Tolstoï et d’Ibsen, élabore un nouveau type de roman où les personnages quasi symboliques sont engagés dans des intrigues impliquant une thèse. Casandra (1905) et surtout El caballero encantado (1909) et La razón de la sinrazón (1915) s’éloignent de la réalité et rejoignent le fantastique.
À la suite de Balzac et de Dickens, Pérez Galdós s’est proposé de décrire une société en mutation avec les méthodes de l’histoire naturelle. Dans le sillage de l’école réaliste, celle de Champfleury et de Flaubert, il aspire à l’objectivité du « daguerréotype », mais ne laisse pas d’intervenir personnellement dans le récit, convaincu de son impartialité.
Une langue diserte, mais prolixe, une écriture correcte, mais trop normative, une plume souple, mais plus appuyée que déliée, de l’observation, parfois indiscrète et potinière, une bonne foi candide, une bonne volonté louable, mais illusoire, une émotivité parfois débridée, un idéal souvent commun qui éblouit plus qu’il n’éclaire, une vue romanesque de l’homme dans le monde : au total Pérez Galdós est le plus important des romanciers espagnols du lointain xixe s.
C. V. A.
J. Casalduero, Vida y obra de Galdós (Madrid, 1943 ; 2e éd., 1951). / A. Ricard, Galdós et ses romans (Institut d’études hispaniques, 1962) ; Aspects de Galdós (P. U. F., 1964). / M.-C. Petit, les Personnages féminins dans les romans de Benito Pérez Galdós (Les Belles Lettres, 1972).