Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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pêche maritime (suite)

Exploitation et surexploitation

Jusqu’à présent, les hommes n’ont guère eu recours, pour tirer parti des océans, qu’à la forme la plus primitive d’exploitation, la cueillette. La pêche est une activité qui ne permet guère d’agir sur le milieu, de faire disparaître les facteurs limitants et de régler la composition des pyramides écologiques de manière à tirer le parti le meilleur des organisations spontanées.

On a eu longtemps une action relativement sélective : les moyens de capture traditionnels, les lignes ou les nasses, étaient faits pour trier les prises ; de tout temps, le filet a constitué un moyen plus puissant, mais aussi plus brutal ; lorsque les mailles sont trop fines, on ramène aussi bien les adultes que les jeunes, ce qui accélère la dépopulation des bancs. On puise dans toutes les espèces, sans choisir celles qui sont utiles.

Les effets de la généralisation du chalutage sont multiples. En un sens, le procédé évite la sélection à rebours que provoquent des engins de capture plus sélectifs ; toutes les espèces sont alors touchées. Mais la puissance accrue des moyens fait apparaître tôt ou tard, lorsque des précautions ne sont pas prises, une diminution des populations exploitées. On peut arriver, en prélevant par la pêche une certaine partie des effectifs, à un état d’équilibre dans lequel le croît remplace les prises. Selon les espèces, les limites où s’inscrit l’exploitation rationnelle sont plus ou moins étroites. Mais pour toutes, les risques de surexploitation existent.

Les effets de cette surexploitation se sont d’abord manifestés pour les mammifères marins : les marins basques les avaient fait pratiquement disparaître des mers européennes au début du xviie s. On les a chassés sur les côtes d’Amérique, avant de se lancer dans les mers du Sud. À l’heure actuelle, la capacité de pêche est telle que, sans réglementation internationale, les cétacés achèveraient vite de disparaître (v. Baleine).

La surexploitation a commencé à être manifeste dans les mers de l’Europe du Nord pour la sole aux environs de 1890, pour l’églefin vers 1905, pour la morue et le colin vers 1920, pour le hareng vers 1950. Dans les parages de la mer de Barents, l’épuisement est sensible depuis 1950. Il l’est depuis les années 1930 autour de l’Islande. Dans les eaux nord-américaines, sur les bancs de Terre-Neuve ou dans les eaux groenlandaises, le tournant se situe dans le courant des années 1950.

En 1949, on estimait qu’il existait une trentaine d’espèces et de zones de pêches sous-exploitées dans le monde. En 1969, 14 de ces espèces étaient dangereusement menacées : cela indique la rapidité avec laquelle l’évolution de la pêche se poursuit depuis une vingtaine d’années.

À l’heure actuelle, le total des prises annuelles se situe aux alentours de 70 Mt par an. Il suffira sans doute de 15 ou 20 ans au rythme actuel pour que l’on parvienne à l’exploitation totale des ressources facilement utilisables. Pour aller au-delà, il faut agir dans deux directions : la première, c’est celle de l’utilisation de zones actuellement mal exploitées. Les techniques de prise font que l’on tire surtout parti des couches superficielles, ou de celles qui sont proches du fond. Les chaluts ont ainsi mis à contribution les plates-formes continentales. On est en train de prospecter les talus, où la vie est souvent assez dense dans la mesure où les apports de matière organique sont importants. On met au point des chaluts pélagiques, qui travaillent entre deux eaux et sont utilisables partout. Ils demandent, pour que leur emploi soit intéressant, que les bancs de poisson soient systématiquement repérés : les sonars éprouvent encore quelque peine à préciser la position des rassemblements profonds.

La seconde direction qui s’ouvre est celle de l’aquaculture. Elle peut prendre plusieurs formes. Dans les secteurs littoraux, on peut développer les formes déjà existantes d’ostréiculture, de mytiliculture, créer des herbiers d’algues. Dans ces mêmes eaux, l’application d’engrais peut fournir les éléments minéraux qui manquent pour obtenir des récoltes plus abondantes. Ailleurs, à défaut d’une véritable culture, on peut espérer améliorer la situation en contrôlant plus étroitement les pyramides écologiques naturelles, en y développant la part des chaînes trophiques qui sont les plus utiles à l’homme.

Jusqu’à ces dernières années, la pêche gardait de son aspect de cueillette l’absence de toute organisation systématique : en dehors de la bande étroite des 3 milles des eaux territoriales, elle était libre partout. La situation actuelle demande une transformation profonde de cet état, si on veut éviter la multiplication des secteurs dépeuplés et l’augmentation des frais qui résulte de la présence sur les bancs de flottes trop puissantes. Les essais de coopération internationale se sont montrés décevants. Les nations qui profitent du régime actuel sont des pays développés qui disposent de flottes puissantes, comme l’Europe occidentale, mais plus encore l’U. R. S. S. et le Japon. Ils sont hostiles à des restrictions qui les léseraient. Aussi s’achemine-t-on vers d’autres formes de contrôle : petit à petit, les nations élargissent leurs eaux territoriales. D’ici peu, c’est tout le problème des plateaux continentaux, voire celui des talus, qui va se trouver posé. Il ne reste plus que la haute mer pour échapper à ces contrôles unilatéraux. Là, l’organisation de la pêche ne se fera pas avant que soit créé un système efficace au plan international.

L’équilibre géographique de la pêche est donc en train de se transformer. L’évolution est si rapide que l’opinion publique n’en prend pas exactement la mesure. Pour beaucoup, la pénurie alimentaire dont est menacée l’humanité peut être réglée par une utilisation plus intense des mers. Celles-ci n’offrent-elles d’ailleurs surtout pas les protéines qui manquent si cruellement aux régions surpeuplées ? Les perspectives sont en fait très limitées : à l’heure actuelle, la mer ne fournit en moyenne, pour l’ensemble du globe, que le dixième des calories animales consommées. Sans modification des techniques, sans coopération, le plafond de la production sera vraisemblablement atteint d’ici la fin du siècle et sera voisin de 100 Mt, soit 50 p. 100 de plus que la production actuelle. D’ici là, la population mondiale sera passée de 4 à 7 milliards d’individus...