Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Argentine (suite)

La crise permanente

Le gouvernement militaire du général Eduardo Lonardi, puis celui du général Pedro Eugenio Aramburu protestent de leur désir de rétablir la démocratie après la dictature de Perón, mais, comme le premier effet du jeu démocratique aurait été le triomphe électoral péroniste, le jeu politique des militaires est, entre 1955 et 1966, de laisser les civils gouverner le pays tant qu’ils sont capables de contenir la pression péroniste, pour intervenir au moindre signe de faiblesse, et finalement confisquer le pouvoir à cause de la victoire électorale des péronistes en mars 1965. On avait attribué à la politique de Perón la crise économique, mais elle ne fait qu’empirer après son départ, se révélant ainsi être une crise de structures et non de conjoncture. Le libéralisme économique favorable aux grands propriétaires ne peut remédier à la situation et fortifie, par contrecoup, le péronisme. Les partis, qui ne peuvent trouver une solution à la crise économique et au problème péroniste, perdent peu à peu l’initiative au profit de l’armée, qui en vient à assumer le rôle directeur. Cette intervention des militaires date de 1930, certes, et, sur les quatorze présidents qui se succédèrent de 1930 à 1966, il n’y eut que cinq civils, dont quatre ne purent terminer leur mandat. Mais, maintenant, l’intervention devient plus directe. Après avoir toléré la présidence du radical Arturo Frondizi, vite déposé à cause des succès péronistes, l’armée décide de jouer une dernière fois le jeu constitutionnel, les « bleus », ou « légalistes », l’emportant contre les « rouges », ou « gorilles », et laissant le président Arturo Umberto Illía en place de 1963 à 1966. Le prévisible échec d’Illía confirme la justesse de la théorie des militaires, persuadés de l’échec des gouvernements civils et de la nécessité de la dictature militaire prolongée. Le général Juan Carlos Onganía s’empare du pouvoir en juin 1966, au milieu de l’indifférence générale, pour empêcher un triomphe des péronistes aux élections prévues pour 1967. En juin 1970, il est renversé par une junte militaire qui donne le pouvoir au général Roberto Levingston. Celui-ci est à son tour destitué par la junte (mars 1971).

Les successeurs du péronisme se sont donné pour but de restaurer l’agriculture (sans toucher au latifundium), pour obtenir ainsi les exportations qui permettraient de financer la reprise industrielle, indispensable à toute réforme de l’économie nationale ; mais les produits agricoles, principalement absorbés par une population en croissance, voient leurs prix monter, ce qui accentue l’inflation ; ce processus, dont bénéficient les propriétaires fonciers, conduit à l’appauvrissement des secteurs urbains, sans relancer pour autant l’activité industrielle. La classe moyenne, qui a commencé à s’appauvrir dans les dernières années de Perón, voit sa situation empirer. Les avantages sociaux se dégradent par l’effet des dépréciations monétaires, ce qui accroît la nostalgie de la population pour le système péroniste. Dans ces conditions, le cas de l’Argentine s’apparente beaucoup moins à celui des pays sous-développés qu’à celui de pays développés qui parviennent mal à conserver des situations acquises. Bien qu’elle reste, à tous points de vue, très en avance sur les autres États latino-américains, l’écart à son profit tend à se réduire à tel point que l’on a pu dire que l’Argentine est entrée dans une phase de stagnation séculaire, ou de maturité, phénomène difficilement supportable pour une nation qui, à deux reprises, a joué un rôle continental : lors des luttes contre l’Espagne et, au xxe s., avec Perón.


Le problème politique


Le péronisme

Depuis 1955, les péronistes ont tenté de reformer un parti, mais se sont heurtés à des obstacles considérables, dont le premier est l’hostilité du pouvoir et l’intervention de l’armée contre tout succès péroniste ; d’autre part, les rivalités de personnes, de tactiques, de tendances compliquent la situation. Quant à Perón, il a pendant des années joué des factions pour rester l’arbitre suprême du mouvement. Le péronisme est resté pourtant puissant, comme l’a d’abord prouvé sa victoire électorale de 1965. D’ailleurs, malgré l’importance de ces partis, la véritable force péroniste repose sur les syndicats, sur la Confederación General del Trabajo (C. G. T.), qui groupait, en 1963, 2 600 000 ouvriers. Dirigée par les péronistes, elle a, après l’arrivée des militaires au pouvoir, accru son activité politique ; cette évolution s’est encore précipitée avec l’assassinat, en 1969, d’Augusto Vandor, chef de la tendance modérée. La fraction dure a cherché à transformer le péronisme en mouvement révolutionnaire utilisant la violence pour s’emparer du pouvoir. En dépit de l’exil de leur chef, les péronistes ne s’étaient pas laissé absorber par les autres partis et demeuraient majoritaires dans la vie politique argentine.


Le retour, la mort et la difficile succession de Perón

La situation politique de l’Argentine est alors compliquée du fait que le pays se trouve dans une phase transitoire : les partis ne correspondent plus aux réalités économiques et sociales ; ils ont été incapables de trouver une solution à la crise économique et ne savent comment reconquérir les masses péronistes. D’où l’irruption de l’armée sur la scène politique, au nom de l’efficacité et de la défense des valeurs nationales : l’effacement des partis au profit de l’armée a été acquis par leur dissolution en 1966. Les militaires ont voulu ainsi procéder à une mise en ordre de la situation économique et sociale, pour mettre fin aux « structures périmées ». Le capital étranger a repris confiance, ce qui n’a pas empêché l’inflation de continuer, le chômage de se développer et les conflits sociaux de s’aggraver. L’Université, qui a manifesté son opposition au coup d’État, a été durement frappée, et de nombreux intellectuels sont partis en exil. Les communistes sont divisés, et la C. G. T. n’échappe pas aux scissions. Cependant, l’arrivée au pouvoir du général Alejandro Lanusse, en mars 1971, s’accompagne d’une libéralisation certaine avec le retour à la légalité des partis politiques et les contacts pris par le pouvoir avec Perón.