Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Pays-Bas (suite)

Accélérée à partir du xie s. par une forte expansion démographique qui se prolonge pour le moins jusqu’à la fin du xiiie s., cette résurrection économique se réalise dans un cadre politique nouveau. Les Pays-Bas, partagés théoriquement entre la Francia occidentalis et la Francia orientalis en vertu des traités de Verdun de 843 et de Meerssen de 870, se décomposent à la faveur de la décadence carolingienne en un grand nombre de principautés féodales dont les titulaires sont en général les anciens détenteurs de l’autorité publique au plan régional : ducs et comtes. La frontière s’étant fixée finalement le long de l’Escaut d’Anvers à Cambrai, seuls les comtés de Flandre et d’Artois entrent dans la mouvance capétienne, encore que, à plusieurs reprises, les Capétiens aient tenté de faire reconnaître leur suzeraineté par les comtes de Hollande. En fait, à l’est et au nord de l’Escaut, le duché de Basse-Lotharingie est totalement placé sous l’autorité du roi de Germanie. Après une tentative faite en 925 par Henri Ier l’Oiseleur pour rétablir son autorité sur l’aristocratie locale, l’empereur Otton Ier en confie le gouvernement à son frère, l’archevêque de Cologne Bruno (925-965), qui le divise vers 959 en deux duchés de Haute et de Basse-Lorraine, le second correspondant pour l’essentiel aux Pays-Bas du Sud et de l’Est, exclusion faite, bien entendu, de la Flandre et de l’Artois. Assisté par un duc chargé de commander les troupes, Bruno parvient pourtant à imposer le respect de l’autorité impériale aux princes territoriaux, dont le nombre croît rapidement. Ducs de Brabant, comtes de Hollande, de Frise, de Gueldre et de Hainaut, ces derniers s’émancipent plus rapidement que les évêques de Liège et d’Utrecht, auxquels l’empereur accorde la double investiture et par le canal desquels il réussit à maintenir son emprise sur les Pays-Bas, tout au moins jusqu’à la signature en 1122 du concordat de Worms, qui l’oblige à relâcher son étreinte sur l’épiscopat.


L’essor économique des Pays-Bas

Malgré trois famines catastrophiques en 1125, 1297 et 1316, qui affectent essentiellement les travailleurs, y compris les petits cultivateurs, la poussée démographique se poursuit du début du xie au milieu du xive s., époque où la peste noire exerce en Europe ses ravages.

En fait, cette explosion démographique, tout à la fois condition et conséquence du développement économique des xie et xiie s., facilite la désagrégation du système seigneurial : le servage disparaît, sauf dans le Luxembourg, économiquement moins évolué et où il se maintient jusqu’au xve s. ; les corvées sont abolies et remplacées parfois par le paiement d’un cens ; le recours à une main-d’œuvre salariée se développe. Les paysans émancipés se constituent alors en communautés rurales qui endiguent les terres littorales et les transforment en polders ou qui défrichent les terres pauvres de l’intérieur, tels les kampen du Brabant septentrional au xiie et au xiiie s. Dans cet effort de mise en valeur, ils ont l’appui des princes territoriaux, qui réduisent notamment en matière de justice les privilèges de leurs vassaux, qui n’hésitent pas, pour se venger, à assassiner en 1296 l’un de ces princes : Floris V, comte de Hollande. Mais ce sont surtout les villes qui bénéficient d’une telle protection. Nées souvent d’un portus situé à la confluence de deux fleuves (Gand), épanouies parfois au point de rupture ou de jonction des navigations fluviale et maritime (Anvers) ou en un lieu où une digue (dam) les met à l’abri d’inondations toujours menaçantes (Amsterdam, Rotterdam, etc.), ces villes, très nombreuses à l’ouest d’une ligne Valenciennes-Anvers, ont tout naturellement une grande importance stratégique.

Implantées par ailleurs dans une région où les terres sont difficiles à mettre en valeur sans apport de capitaux extérieurs, elles profitent d’un important courant d’immigration rurale, qui font d’elles les villes les plus peuplées de l’Europe du Nord-Ouest : Gand et Bruges comptent respectivement environ 56 000 et 36 000 habitants à la veille de la Grande Peste de 1346. Contraintes de ce fait pour nourrir leur population à recourir à d’importantes importations de produits alimentaires, elles doivent en outre trouver dans les activités artisanales et industrielles un appoint de ressources susceptible d’en couvrir le montant. Les villes des Pays-Bas sont bien situées au nord-ouest de l’Europe, en un point où convergent routes terrestres (par les foires de Champagne), fluviales (par l’Escaut, la Meuse et le Rhin) et maritimes, ces dernières menant à la Baltique par l’Øresund, à l’Angleterre par le pas de Calais et à la Méditerranée italienne et orientale par Gibraltar à partir de 1277. Aussi ont-elles tout naturellement une vocation commerciale — prépondérante — et industrielle — secondaire —, cette dernière étant alimentée essentiellement par les ressources locales : laine fournie originellement par des troupeaux de moutons élevés en particulier sur les sols pauvres des pays de Geest ; fer et cuivre de la vallée mosane ; pêche reposant sur la fructueuse exploitation des riches fonds de la mer du Nord.

Les premières à bénéficier d’un tel essor économique sont les villes de Flandre — Gand, Ypres, Bruges, Douai —, qui font de plus en plus appel aux laines anglaises et au pastel languedocien, indispensables à la draperie locale, dont elles écoulent les produits dès les xie et xiie s. dans les pays d’Outremont (par Gênes d’abord), en échange de ceux de l’Italie et de l’Orient. En même temps, leurs marchands, qui fréquentent les foires de Champagne, accaparent le monopole du commerce des vins français ou poitevins, dont ils se disputent l’étape ainsi que celles de la laine anglaise, que tentent d’accaparer également Calais, Middelburg, etc. Fille du commerce, élargissant ses importations aux laines d’Écosse, puis d’Espagne, l’industrie textile, dispersée en de très nombreux petits ateliers, se diffuse assez précocement en Gueldre, où Nimègue est un ancien centre drapant, en Hollande, où Dordrecht obtient à la fin du xiiie s. l’étape locale des laines anglaises et où Leyde devient l’un des plus célèbres producteurs de draps d’Europe, au Brabant enfin. Les ducs de Brabant pratiquent une politique fiscale très prudente qui permet à leur industrie ainsi qu’au port d’Anvers de bénéficier dès la seconde moitié du xive s. et encore plus au xve s. de la crise de l’économie flamande, qui doit alors réduire ses importations de laine anglaise, avant de s’orienter à la fin du xve et au début du xvie s. vers la fabrication d’une draperie de qualité courante avec le concours de la main-d’œuvre abondante et bon marché des petites localités et des campagnes, qui ignorent les entraves corporatives et qui se soumettent aux directives des marchands de Bruges ou d’Anvers. En fait, cette nouvelle draperie flamande, entièrement dépendante du capitalisme commercial, dans le cadre de la libre entreprise, se développe essentiellement en Flandre française à Bergues, à Hondschoote, à Bailleul, à Armentières, à Valenciennes, à Tournai, à Mons, etc.

Exploitant dès le xiiie s. les mines de charbon du sillon houiller wallon ainsi que les gisements des minerais de fer et de cuivre des confins ardennais, les villes mosanes deviennent à la fin du Moyen Âge d’importants centres métallurgiques : Dinant bat le cuivre, Liège et Huy développent la chaudronnerie et la quincaillerie, etc.