paysans (suite)
La coopération* joue un grand rôle chez les paysans. Mise en place sous la IIIe République, elle est devenue une institution quasi officielle. Mais la coopération se trouve face à un dilemme redoutable. Trop petite, la coopérative n’atteint pas l’ampleur suffisante pour rémunérer au taux du marché les capitaux investis ; en outre, concurrentielle avec le marché libre, elle a l’obligation de recevoir les produits de ses adhérents, qui, eux, n’ont pas l’obligation de lui fournir toute leur production ; on voit donc trop fréquemment les paysans donner les mauvais produits à la coopérative et garder les bons pour les vendre sur le marché libre.
Trop grande, la coopérative échappe aux coopérateurs ; administrateurs et, plus encore, directeurs font la loi — celle du marché —, et les propriétaires des parts sociales sont sans prises sur les décisions.
D’autres formes de coopération, plus modestes, ont un succès certain : coopératives d’utilisation de matériel en commun, groupements agricoles d’exploitation en commun, etc. Leur réussite tient au petit nombre de personnes concernées : de 3 à 15 semble le chiffre efficace.
Les nouveaux modes de production
Talonnés par la productivité, l’endettement, le vieillissement, les paysans essayent de nouveaux élevages ou des cultures qui puissent parer à l’incertitude des marchés où à l’exiguïté de leurs terres. Ils s’orientent ainsi vers des contrats avec des banques ou des grands trusts agro-alimentaires, qui les poussent à une production de masse sur une petite surface (poulet, porc, veau, légumes), dont la quantité leur assurera de quoi vivre. L’investissement fournit la caution de l’équipement et promet l’achat du produit. Le paysan assure la main-d’œuvre. Mais si la surproduction survient, le paysan cède sa marchandise à bas prix à l’investisseur.
Cette seule perspective laisse le paysan en état d’infériorité pour fixer les prix et le conduit à n’être qu’un sous-traitant de l’investisseur, voire le simple manœuvre d’une machine complexe (un poulailler par exemple) rémunéré aux pièces à un taux faible. Il retombe dans l’incertitude tout en ayant perdu son indépendance.
On peut penser de la sorte que le système de production des biens alimentaires subsistera avec des paysans assez nombreux : les trusts alimentaires et les gros agriculteurs n’ont pas intérêt à accroître l’exode rural ; cette masse de travailleurs, réservoir de main-d’œuvre pour les usines ou producteurs à la merci d’une demande qui leur échappe, liée par les dettes, restera à la terre, docile, sauf de brèves jacqueries. Il est certain que cette situation modifie profondément l’état d’esprit paysan, et différents indices dans l’évolution du syndicalisme agricole, autrefois corporatiste, montrent que les membres de cette couche sociale tendent de plus en plus à se considérer comme des ouvriers et à adopter en conséquence des réactions et des résistances de style industriel.
J. M.
➙ Agriculture / Rural (monde).
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