Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Pavlov (Ivan Petrovitch) (suite)

Lors de ses premiers travaux sur l’activité cardio-vasculaire, puis de ceux sur les glandes digestives, Pavlov fut particulièrement préoccupé par le rôle que joue le système nerveux dans la régulation des divers processus physiologiques. Le « nervisme », défendu avant lui par Sergueï Petrovitch Botkine (1832-1889), et les idées développées par celui qu’il considérait comme le père de la physiologie russe, Ivan Setchenov (1829-1905), l’imprégnaient profondément. Son souci fut dès lors en permanence de comprendre le fonctionnement de cette activité nerveuse, qu’il qualifiait de « supérieure » à la fois parce qu’elle était pour lui un instrument perfectionné d’adaptation de l’organisme au monde extérieur et parce qu’elle lui paraissait en définitive, comme elle l’avait été pour Setchenov, identique dans sa nature à l’activité psychologique ; c’est sur ces points qu’il se sépara en particulier de son contemporain sir Charles Scott Sherrington (1857-1952).

Pour étudier cette activité nerveuse supérieure (ou psychique), Pavlov n’accepta de suivre qu’une seule voie, celle de l’expérimentation ; ses premières années de formation au travail du laboratoire de physiologie l’avaient convaincu de la fécondité de cette méthode, et surtout de son universalité.

À la différence de la plupart des philosophes de son époque et même de bon nombre d’hommes de science, il n’acceptait pas l’idée que la méthode expérimentale, que l’idée du déterminisme et les règles de l’explication objective pussent cesser d’être valides au seuil de l’étude des phénomènes « psychologiques » ; cette limitation lui semblait plus particulièrement injustifiée pour les recherches sur l’animal. Cela se traduisit par le conflit qui l’opposa un moment à certains de ses collaborateurs à propos de la sécrétion psychique : il refusa alors catégoriquement d’« entrer dans l’état intérieur de l’animal et de (se) représenter à (sa) façon ses sensations, sentiments et désirs ». À cette façon de voir, il substitua avec vigueur une façon de voir qu’il appelait « physiologique », qu’aujourd’hui nous qualifierions sans doute plus simplement d’« objective » et qui consistait pour l’essentiel dans la recherche des conditions extérieures, des « excitants » ou des relations entre « excitants » qui donnent naissance à la sécrétion. C’est ainsi que non seulement il mit en évidence le concept scientifique nouveau de réflexe conditionnel (ou conditionné), mais encore que, bien au-delà de ce dernier, il s’affirma en même temps comme l’un des fondateurs de la psychophysiologie et de la psychologie scientifiques. Dans cette perspective, en effet, le réflexe conditionnel n’était lui-même qu’une manifestation extérieure et, à certains égards, qu’un moyen d’étude de ce qui demeurait l’objet scientifique principal, à savoir précisément l’activité nerveuse supérieure.

Dans l’utilisation que fit Pavlov de la méthode expérimentale, un aspect supplémentaire doit être particulièrement souligné, en raison de la lumière qu’il apporte sur ses conceptions générales : c’est l’insistance mise à n’étudier que des animaux intacts. Sous cet angle, Pavlov fut aussi un précurseur de l’expérimentation contemporaine sur des animaux « chroniques » plutôt que « aigus » ; il s’opposa avec vivacité — et non, sans doute parfois, sans quelque injustice — à l’étude analytique d’animaux soumis à la vivisection, à la narcose, ou à celle qui portait sur des organes isolés, et il s’en tint strictement à celle d’organismes n’ayant subi que des interventions mineures, non susceptibles d’altérer leurs relations générales avec leur milieu.

L’œuvre de Pavlov a profondément influencé le développement de la psychophysiologie et de la psychologie expérimentale modernes. Cela, toutefois, ne s’est pas fait sans quelques changements d’éclairage, surtout pour la dernière. Les découvertes de Pavlov sur la nature et le fonctionnement des réflexes conditionnels, sur leurs conditions d’établissement, sur les processus qui leur sont connexes, extinction, généralisation du stimulus, discrimination ou différenciation, etc., ont fourni un contenu et imprimé un élan indiscutable aux recherches conduites sur les processus d’apprentissage ; mais celles-ci se sont faites ensuite, pour l’essentiel, dans une perspective béhavioriste. Le fait historique marquant en ce domaine est justement que les grands théoriciens américains de la psychologie du comportement, à commencer par J. B. Watson lui-même, puis de façon plus systématique C. L. Hull, B. F. Skinner et bien d’autres après eux, ont réinterprété les phénomènes de conditionnement dans leur propre perspective, qui était celle du béhaviorisme dit « S-R » (« stimulus-réponse »).

Cette évolution a eu une double conséquence : d’une part l’étude expérimentale intensive et minutieuse de ces phénomènes a conduit à les connaître de façon plus précise, à rectifier des erreurs, à modifier des explications, à apporter des faits nouveaux — comme ceux qui sont relatifs au conditionnement instrumental ou opérant, qui se situe hors de la conception pavlovienne — et aussi à vérifier leur extension et à situer leurs limites, chose particulièrement importante lors du passage de l’animal à l’homme ; l’acquis en cette matière est considérable.

Mais d’autre part s’est trouvée surimposée à ces données scientifiques, et parfois confondue avec elles, une conception épistémologique particulière, de caractère essentiellement positiviste, qui réduit à leur minimum, et parfois à rien, les conclusions que l’on peut tirer pour la connaissance des processus internes de l’observation du comportement.

Il convient donc de bien garder présente à l’esprit l’idée que, ni réflexologie ni béhaviorisme S-R, la conception de l’activité nerveuse supérieure élaborée par Pavlov mérite d’être considérée pour ce qu’elle est, à savoir une théorie générale qui, en dépit d’un certain nombre d’invalidations locales, de compléments et de remaniements apportés par la recherche postérieure, conserve aujourd’hui encore un intérêt réel et, en tout cas, dépasse de loin la caricature qu’en donne parfois la réduction à une mécanique de réflexes conditionnels.

J.-F. L. N.

➙ Apprentissage / Béhaviorisme / Conditionnement / Psychologie / Réflexe / Sensation.

 M. Regnié, l’Œuvre physiologique de Pavlov (Vigné, 1940) ; Introduction à l’œuvre de Pavlov (Éd. de la Nouvelle Critique, 1953). / H. Cuny, Pavlov (Seghers, 1962). / R. Angelergues et coll., Pavlov et le pavlovisme (Éd. sociales, 1963).