Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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particules élémentaires (suite)

La description des processus d’interaction forte dépend des énergies mises en jeu : des modèles dynamiques différents sont utilisés suivant que les énergies sont basses ou élevées, mais le concept de dualité a été introduit pour établir des relations entre ces deux types de modèles, en supposant qu’il existe une zone d’énergies intermédiaires où l’on peut employer au choix l’un ou l’autre modèle.

Aux basses énergies, on considère que les collisions élémentaires conduisent à des états composés intermédiaires bien définis, les « résonances », qui se désintègrent pour donner les divers produits de la réaction. On constate en effet l’apparition de bosses caractéristiques dans la représentation de la section efficace σ de la réaction en fonction de la variable s, qui est définie, par exemple, dans le cas de la réaction à deux corps représentée sur la figure 2 : a + b → a′ + b′ par
s = (p1 + p2)2 = E2,
p1, p2, p3, p4 étant les mesures des quadrivecteurs impulsion-énergie. On dit qu’il se produit des « échanges dans la voie s », selon les diagrammes de la figure 3 où (RS)i représente la i-ème résonance, et qu’il faut sommer. Ce peut être par exemple un méson vecteur ρ.

Aux énergies élevées, au contraire, on considère le moment transféré entre a et a′ : t = (p1 – p3)2, et le modèle utilisé, dit « modèle des pôles de Regge », décrit des échanges dans la voie t, selon les diagrammes de la figure 4, où (RG)i est le i-ème pôle doté de nombres quantiques bien définis, par exemple un méson ρ (on retrouve aussi l’aspect de « bootstrap » : le même méson ρ peut être une résonance ou un de ses constituants). La considération des pôles de Regge permet d’établir un lien entre des résonances différant entre elles par le moment angulaire seulement, mais ayant tous les mêmes autres nombres quantiques. Les résonances, qui se manifestent par des pics à l’avant des courbes représentatives de sont représentées par des points de coordonnées J(M2), où M est la masse, situés sur des droites ou des trajectoires de Regge, dont ces droites sont l’approximation.

Le modèle de Regge doit inclure un terme de diffraction, rendant compte d’un fond continu dans la section efficace σ et que l’on symbolise par l’échange d’une particule virtuelle, le Pomeron, ou Pomeranchukon.

L’accord quantitatif exige que le modèle soit complété par des termes correctifs, le plus souvent des termes d’absorption qui ne laissent subsister que l’effet des ondes partielles, dont le moment angulaire l ≃ kR (k étant l’impulsion dans le système du centre de masse, et R le rayon de la région d’interaction), c’est-à-dire de la périphérie du nucléon.

La périphérie joue d’ailleurs un rôle important dans la dynamique des interactions fortes. Par exemple, pour étudier la diffusion élastique de deux pions, on peut expérimenter sur la réaction π + p → π + p + π0, que l’on interprète selon le diagramme de la figure 5 : le π diffuse élastique-ment sur un π0 émis à la périphérie du proton. Une extrapolation due à G. F. Chew et F. E. Low permet de passer de ce cas d’échange d’un π0 virtuel aux propriétés de la diffusion élastique sur un π0 réel.

En conclusion, le mérite de l’idée de dualité est de relier entre elles les deux représentations : celle des échanges dans la voie t et celle des échanges dans la voie s. On constate ainsi, par exemple pour les collisions π + N → π + N, que les baryons, qui sont des résonances dans la voie s, sont situés sur des trajectoires de Regge de même pente que celle des trajectoires où sont situés les mésons échangés dans la voie t. La dualité rend aussi compte de relations qui existent entre les nombres quantiques dans la voie s et le comportement à haute énergie de la réaction considérée. Elle explique qu’une somme de résonances en voie s puisse recréer un pic vers l’avant, caractéristique d’un processus d’échange « périphérique », tandis que les échanges dans la voie t peuvent aussi reproduire des propriétés caractéristiques de la voie s.

Il existe de nombreux modèles duaux, tous imparfaits, dont le plus célèbre est le modèle de Veneziano, qui présente le double défaut d’ignorer le fond non résonnant et de ne pas satisfaire l’unitarité (la largeur prédite pour les résonances est beaucoup plus faible que leur espacement). Les diagrammes de quarks permettent de comprendre comment s’introduit la dualité, ainsi que l’illustre la figure 6 pour l’interaction de deux mésons : le diagramme se déforme soit vers l’échange en voie s, soit vers l’échange en voie t.


Cas des énergies les plus élevées

Il existe une prédiction lorsque l’énergie s’accroît indéfiniment. C’est le théorème de Pomeranchuk (ou Pomerantchouk), qui énonce que les sections efficaces d’interaction de deux hadrons A et B et de l’antiparticule de A, Ā, avec B tendent à être égales. La possibilité d’atteindre des énergies sans cesse plus grandes dans le système du centre de masse, grâce au synchroton à protons de 300 GeV de Batavia (près de Chicago) et aux anneaux de collision à protons du Cern, a révélé que, loin d’obtenir une valeur constante pour la section efficace de collision proton-proton, comme le laissait prévoir le fait que la longueur d’onde associée au proton devenait inférieure à la dimension même du proton, on voyait cette section efficace totale, après être passée par un minimum, augmenter avec l’énergie. D’autre part, l’extrapolation de la section efficace pour la diffusion (antiproton, proton) semble bien malaisément aboutir aux valeurs mesurées pour (proton, proton) qu’exigerait le théorème de Pomeranchuk.

À ces énergies, il est difficile d’étudier des réactions exclusives, où tous les produits de la réaction sont spécifiés. On se contente donc de réactions inclusives, où l’étude est concentrée sur l’une des particules produites, sans rien spécifier pour les autres. Ainsi, les théories des collisions hadroniques inélastiques de grande énergie avec émissions de particules multiples sont construites à partir de deux modèles :
— le modèle de Feynman mettant en œuvre les partons et des mésons de freinage ; il prédit que la multiplicité des particules produites (leur nombre total moyen) croît comme le logarithme de l’énergie disponible dans le système du centre de masse ;
— le modèle de la fragmentation limite (C. N. Yang et coll.), que subit l’une des deux particules, cible ou projectile, entrant en collision ; il prédit que, lorsque l’énergie croît, la multiplicité moyenne croît aussi, mais qu’il subsiste un certain taux d’événements à faible multiplicité.