Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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parlement (suite)

Le problème des attributions

Première et essentielle, la fonction judiciaire du parlement s’exerce en première instance à l’égard des proches du roi et des bénéficiaires de lettres de « committimus » (Nous te confions...) et surtout en appel en ce qui concerne les causes déjà jugées soit par les tribunaux seigneuriaux, soit par les tribunaux de bailliage et de sénéchaussée. Mais l’énormité de la tâche à assumer amène le parlement à accepter une double amputation de sa compétence, en droit universelle et souveraine, en fait restreinte territorialement par la création des parlements de province et juridiquement par la possibilité d’appel de ses arrêts, pourtant souverains, au Conseil du roi, qui apparaît finalement plus souverain que la cour elle-même puisque le roi y est physiquement présent. Mais, alors que cette amputation juridique est effective dès le xive s. par le biais de la « proposition d’erreur » présentée au roi par le justiciable par l’intermédiaire des maîtres de l’Hôtel-le-roi et aboutit à la cassation de l’arrêt par le monarque, qui renvoie l’affaire devant le parlement sans la juger au fond, par contre l’amputation du ressort géographique de cette cour se réalise progressivement entre le xve et le xviiie s. au rythme de la création des parlements de province : celui de Toulouse, né d’une délégation en 1303 du parlement de Paris et qui, après une première et fugitive apparition (1420-1425), est définitivement organisé en 1443 ; celui de Grenoble (1453), érigé en parlement royal en 1456 ; ceux de Bordeaux (1462), de Perpignan (1463-1493) ; celui de Bourgogne (1477), établi à Dijon en 1480 ; celui d’Aix-en-Provence (1501) ; celui de Rouen, qui se substitue à l’Échiquier de Normandie (1515) ; celui de Bretagne (1554), qui se fixe définitivement à Rennes en 1561 ; celui du pays de Dombes, établi à Lyon (1523-1696), puis à Trévoux (1697-1771) ; enfin ceux de pays récemment annexés et auxquels n’est parfois reconnu que le titre de conseil souverain : Pau (1620) ; Metz (1633) ; Artois (1641) ; Alsace (1657) ; Flandre, établi à Tournai (1668), et transféré à Douai (1709) ; Besançon (1676) ; Bastia (1768) et Nancy (1775).

D’origine curiale, le parlement ajoute naturellement à sa compétence juridique une compétence administrative. Aussi surveille-t-il et contrôle-t-il les baillis et les sénéchaux, l’université, l’assistance publique et même l’Église en tant que défenseur des droits du roi à l’encontre des empiétements des tribunaux ecclésiastiques ou des légats pontificaux, en tant aussi que garant de la discipline et conservateur de l’orthodoxie.

La compétence politique du parlement découle de ces interventions d’ordre administratif. Elle s’exprime par des « arrêts de règlement » de valeur générale, applicables à tous et exécutoires sauf opposition du roi, et s’affirme exceptionnellement lorsque le roi lui soumet les plus grandes affaires de l’État, car le parlement est alors la Curia regis reconstituée. Elle se marque ordinairement à l’occasion de l’enregistrement des ordonnances que le roi publie dès le xive s. en son parlement et à l’occasion duquel cette cour s’arroge, concurremment avec le chancelier, le droit de « remontrance » et de « nouvelles et itératives remontrances », autorisées par l’ordonnance de Moulins de 1566. Le roi peut d’abord s’opposer à ces dernières répondant les deux fois à la cour par des « lettres de jussion » lui donnant l’ordre d’enregistrement avec la possibilité relativement libérale de mentionner ainsi sa réserve : « Lue et publiée de l’exprès mandement du roi. » Mais il peut aussi tenir un « lit de justice » eu la Grand-Chambre pour ordonner « de sa bouche » au greffier d’enregistrer sans possibilité de refus.


Le parlement et la monarchie d’Ancien Régime

Se refusant de ce fait à être une simple cour de justice, prétendant être un conseil de gouvernement, le parlement, par le biais notamment des remontrances, intervient dans les affaires de l’État. Défenseur des libertés gallicanes, il s’oppose ainsi à l’enregistrement du concordat de Bologne de 1516, à celui des décisions du concile de Trente, etc. Défenseur des libertés judiciaires et universitaires, il réussit à empêcher en fait l’application du code Michau, pourtant enregistré par lit de justice en 1629. Défenseur des droits et prérogatives des officiers menacés par extension du corps des commissaires et intendants, il réalise à son profit l’Union des cours souveraines (édit du 13 mai 1648) et impose à la royauté un plan de réformes par les arrêts de la Chambre de Saint Louis en juin et en juillet 1648. Interdisant à la monarchie de procéder en particulier à des levées d’impôts sans son consentement, il acquiert une grande popularité qui atteint son apogée lors de la Fronde* (1648-1653), dont il anime les premières manifestations. Surtout, il subordonne à son autorité celle de la monarchie, à l’abaissement de laquelle il a déjà contribué et contribuera encore en confirmant Marie de Médicis dans sa régence en 1610, en aidant surtout Anne d’Autriche et le Régent à obtenir en 1643 et 1715 la cassation des testaments de Louis XIII et de Louis XIV. Ainsi, il efface l’humiliation que lui a imposée ce dernier souverain en le contraignant en 1673 par lettres patentes à enregistrer les édits avant de formuler ses remontrances, droit qui lui est restitué dès le 16 septembre 1715.

Le parlement prétend dès lors jouer un rôle politique essentiel dans la direction des affaires de l’État : il s’oppose systématiquement à la politique financière de Law en 1713, à l’application de la bulle Unigenitus, à l’instauration des impôts nouveaux et notamment des premier et second vingtièmes en 1749 et en 1756, à la décision épiscopale de refuser les derniers sacrements aux fidèles qui n’auraient pas obtenu un billet de confession d’un prêtre ayant adhéré à la bulle Unigenitus (1751-1758). En août 1753, le conflit culmine avec la publication des grandes remontrances, par lesquelles le parlement se proclame « défenseur naturel des lois fondamentales du royaume » contre l’arbitraire monarchique. Obtenant alors la dissolution de la Compagnie de Jésus le 6 août 1762, condamnant les idées nouvelles et leurs protagonistes les philosophes qui, tel Voltaire, ripostent en critiquant sa manière de rendre la justice et les erreurs dont ses membres se rendent coupables, notamment dans les affaires Calas, Sirven et chevalier de La Barre, la cour achève d’humilier la monarchie en se solidarisant avec le parlement de Rennes dans la lutte que mène la procureur général La Chalotais contre le gouverneur de Bretagne, le duc d’Aiguillon, finalement contraint à démissionner et à comparaître devant elle au terme d’une longue lutte (1763-1770) et malgré l’interdiction de Louis XV, qui a notamment rappelé au parlement, lors de la « séance de la flagellation », le 3 mars 1766, qu’il ne tient son autorité que du roi. Pour briser cette opposition systématique, le souverain doit donc recourir à la contrainte sinon même à la force, multipliant les lits de justice pour imposer l’enregistrement des actes essentiels de la monarchie, exilant les parlementaires à plusieurs reprises, notamment à Pontoise en 1720, supprimant des charges de justice (64 en 1756 pour imposer l’enregistrement du second vingtième, etc.) avant de supprimer le parlement de Paris lui-même à l’initiative du chancelier Maupeou dans la nuit du 19 au 20 janvier 1771. Frappant d’une mesure analogue ceux de Rouen et de Douai, conseils supérieurs à Arras, Blois, Châlons-sur-Marne, Clermont, Lyon et Poitiers, le chancelier tente de reconstituer un parlement restreint recrutant ses membres dans le Grand Conseil et la Cour des aides, également supprimés.