Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Paris (suite)

La topographie administrative nouvelle révèle le souci des thermidoriens de prévenir une éventuelle revanche et de juguler le Paris qui a dominé depuis deux ans. Par la loi du 24 août 1794, on modifie la répartition des sections en démembrant les sections populaires et jacobines et en les rattachant à des sections modérées, ce qui explique l’étrange configuration des quartiers de Paris, tels qu’ils sont demeurés jusqu’en 1860. Le faubourg Saint-Antoine est rattaché au Marais, le faubourg Saint-Denis à Bonne-Nouvelle, le faubourg Saint-Martin à Montorgueil. Les institutions municipales sont réorganisées en janvier 1796, dans les sens d’un assujettissement étroit au département et au contrôle des commissaires du Directoire. Le ressort est brisé. Aux élections, l’absentéisme sévit dans les quartiers populaires, durement atteints par le rétablissement des droits d’octroi en octobre 1798. Les nouvelles institutions se déplacent. Si les Anciens conservent le siège de la Convention aux Tuileries, le Directoire occupe le Luxembourg et les Cinq-Cents le Palais-Bourbon. La rive gauche retrouve une brillante activité.

Le bilan démographique, tel qu’il apparaît au recensement d’octobre 1796, est sinistre. Paris n’a plus que 556 000 habitants, soit une perte d’environ 100 000, due à l’émigration, au reflux des provinciaux et à l’accroissement de la mortalité. En 1789, on comptait de 18 000 à 20 000 décès en moyenne ; ce chiffre est passé a 30 000. Atonie de la vie politique, léthargie économique, indigence généralisée, Paris vit sa plus triste période.


Paris sous le Consulat et l’Empire

Le 18-Brumaire ramène, avec l’ordre, la prospérité. Les mesures d’apaisement réactivent les quartiers aristocratiques. L’industrie bénéficie de nouveau de commandes de l’État, de la noblesse d’Empire et des notables. Le nouveau régime voue une attention particulière au commerce, réorganise la Bourse en 1801, la Chambre et le Tribunal en 1803. Dans les rues traditionnellement vouées au négoce, l’activité reprend : commerce des denrées coloniales rues de la Verrerie, des Lombards, Sainte-Croix, de la Bretonnerie ; des tissus rues Vivienne, Saint-Denis, des Bourdonnais, des Déchargeurs. Les Halles, les faubourgs Saint-Denis et Saint-Antoine s’affairent comme par le passé. Le luxe des nouveaux riches et des dignitaires profite à l’artisanat d’art, qui décore les somptueux hôtels de la rive gauche. C’est l’époque d’un nouvel essor industriel, avec les manufactures de F. Richard et E. Lenoir au faubourg Saint-Antoine, B. Delessert à Passy, G. L. Ternaux à Auteuil. En 1803, Paris compte 6 filatures de coton ; en 1811, 57, établies dans le VIIIe (Charonne, Roquette) et le XIIe (Saint-Jacques, Saint-Victor). Mais la structure des établissements reste encore modeste. Une vingtaine de manufactures emploient plus de 100 ouvriers, et l’immense majorité entre 5 et 10. La moitié des Parisiens, soit 350 000 personnes, vivent de l’industrie et de l’artisanat. D’après une statistique de 1807, le bâtiment vient en tête (25 000), suivi du vêtement et de l’alimentation (chacun 15 000), des métaux (10 000), du meuble (5 000), de l’imprimerie (4 500). Le travail en chambre domine largement les métiers typiquement parisiens comme l’orfèvrerie-bijouterie et la tabletterie. Jusqu’à la crise de 1810, l’activité économique ne souffre guère de la conscription et de la guerre.

Les ponctions de main-d’œuvre par l’armée sont compensées par un mouvement d’immigration considérable, qui s’accentuera dans la première moitié du xixe s. Ces immigrants sont des travailleurs du bâtiment (tailleurs de pierre normands, maçons du Limousin), du textile (tisserands et façonniers des Flandres et de l’Artois), qui commencent à s’entasser dans les garnis du quartier de l’Hôtel de Ville. D’ailleurs, la guerre favorise Paris, qui bénéficie à la fois de l’élargissement du marché et du repli des capitaux des grands ports, ruinés par la disparition du commerce maritime. Il faudra attendre la grande crise de 1810-1813 pour voir réapparaître les faillites et le chômage, à l’origine de la rupture entre la bourgeoisie parisienne et l’Empire.


Démographie et subsistances

La population parisienne s’accroît. D’une part, la conscription favorise la nuptialité, qui permet d’y échapper. Mais c’est surtout l’immigration qui assure désormais l’essor démographique. Ouvriers et chômeurs, fonctionnaires et négociants, indigents et vagabonds refluent sur la capitale, qui absorbe, de 1800 à 1814, 200 000 immigrants de toute condition. Déjà, le Paris de Napoléon offre à l’état d’ébauche une physionomie qui va dominer les temps préhaussmanniens. Dans le centre, à la croisée des voies historiques de la vieille cité, l’afflux de population est à l’origine de densités énormes, dépassant 100 000 habitants au kilomètre carré dans les Arcis (partie occidentale de la place de Grève) ou aux Marchés (les Halles). Les faubourgs populaires, Popincourt (3 800 hab. au km2), Quinze-Vingts (5 600), n’apparaissent guère plus densément peuplés que les quartiers riches, Champs-Élysées (2 700), Invalides (4 200). De nouvelles directions du peuplement apparaissent, vers les lotissements de l’ouest, comme la chaussée d’Antin, qu’accaparent les milieux de la banque, ou vers le sud-est pauvre, malsain et peu sûr (Observatoire, Jardin des plantes).

La crainte d’un retour des troubles stimule la politique des subsistances. Il faut assurer la nourriture de cet énorme ensemble, et l’administration impériale surveille et contrôle avec une particulière rigueur. Le pain d’abord. Une réserve de 250 000 quintaux de farine est constituée au Grenier d’abondance, boulevard Bourdon. Les boulangers, soumis à la rigoureuse tutelle de la préfecture de police, doivent disposer d’un approvisionnement de réserve. La viande est réglementée de la même manière. On ferme les « tueries » nauséabondes du centre, et cinq nouveaux abattoirs sont installés à la périphérie (Roule, Montmartre, Popincourt, Vaugirard et Villejuif). Quant aux halles, vétustes et inadaptées, Napoléon aurait voulu en faire le « Louvre du peuple ». En fait, le « ventre de Paris » était à l’époque un invraisemblable capharnaüm de bâtisses à demi ruinées, de boutiques et d’échoppes adossées aux différentes halles. Le seul bâtiment récent était la Halle au blé, édifiée en 1765. Un marché aux fruits et légumes, pittoresque et envahissant, avait recouvert le charnier des Innocents, fermé en 1780, mais, faute d’installations, les marchands devaient s’abriter sous d’énormes parapluies rouges. L’Empereur envisage à partir de 1810 la reconstruction totale des Halles. Un vaste marché couvert devait être établi entre le marché des Innocents et la Halle au blé, mais le temps et l’argent manquèrent. On se contenta d’aménagements partiels, comme le marché à la viande (des Prouvaires), ou de la création de marchés de quartiers : marché Saint-Honoré, Saint-Germain, marché aux fleurs quai Desaix, à la volaille quai des Grands-Augustins. L’édilité impériale, conduite avec zèle par Frochot, s’est exercée surtout avec efficacité dans l’assainissement de Paris. Les égouts sont curés et recouverts, les derniers charniers fermés et trois grands cimetières aménagés (Montmartre, Montparnasse et Père-Lachaise).