Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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paranoïa (suite)

• Une forme particulière de délire paranoïaque tient au terrain, à l’évolution, à la qualité des réactions au délire : c’est le délire de relation des sensitifs de Kretschmer. Il apparaît chez des sujets doués d’une personnalité dite « sensitive » (paranoïa de défense et de retrait par rapport à la paranoïa de combat précédente). Ce sont des doux, des hypersensibles, des asthéniques, hyperscrupuleux, persuadés en secret que leur valeur n’est pas suffisamment reconnue, peu communicatifs, renfermés, habituellement inhibés, retenant en eux par un contrôle excessif toutes les vexations et humiliations de la vie quotidienne. C’est le délire des célibataires, des vieilles filles, des gouvernantes, des employés de maison en apparence soumis et effacés. Les malades souffrent en silence, isolés sur le plan affectif, sans compensations psychologiques ou sexuelles satisfaisantes ; puis un jour, à la suite d’un événement insignifiant pour lequel ils se sentent à tort au rang d’accusés ou de coupables, éclate le délire interprétatif et intuitif : impression d’hostilité de l’ambiance, de malveillance systématique, certitude d’être mal jugés, suspectés, méprisés, brimés, raillés en secret. Le plus souvent, ces malades réagissent par l’anxiété, la dépression, l’isolement, la fuite ou le suicide. Rarement ils deviennent accusateurs, agressifs, revendicateurs. L’évolution n’est pas toujours chronique. Ces malades sont plus accessibles que les paranoïaques ordinaires aux thérapeutiques chimiques et à la psychothérapie.

En résumé, les psychoses délirantes paranoïaques, toutes chroniques spontanément, se développent dans l’immense majorité de cas chez des personnalités pathologiques de type paranoïaque classique ou sensitive.

• En revanche, il existe des délires paranoïaques aigus, transitoires plus ou moins réactionnels, curables, qui éclatent brusquement chez des individus n’ayant pas nécessairement antérieurement une personnalité paranoïaque. Le rôle déclenchant des chocs affectifs, des frustrations existentielles, des conflits aigus, du surmenage n’est pas négligeable.

Ces paranoïas délirantes aiguës s’observent essentiellement chez l’adulte (délire interprétatif aigu curable). Chez l’adolescent, on voit souvent des attitudes et des comportements paranoïaques, soit purement caractériels, soit même subdélirants, qui sont volontiers réactionnels au milieu familial ou scolaire ou à l’ambiance particulière d’une petite collectivité. Ces troubles peuvent s’amender par des mesures psychothérapiques et une action directe sur le milieu.

• Chez les vieillards, au début ou au cours d’un affaiblissement intellectuel sénile, il est banal de rencontrer des idées de persécution et surtout de préjudice matériel ou corporel (thème du vol notamment, avec accusation absurde de personnes de la famille ou de voisins de palier).


Causes, pronostics et mesures thérapeutiques des paranoïas


Causes

Rien n’est moins établi que la cause profonde de la paranoïa, qu’elle soit simple organisation pathologique de la personnalité ou processus délirant chronique. La psychanalyse est la seule théorie prétendant saisir les mécanismes et la genèse du trouble. En ce qui concerne la psychose notamment, on insiste sur les perturbations affectives très précoces dans le développement infantile : relation distordue avec la mère, souvent possessive, autoritaire, frustrante ; négation inconsciente par la mère, dans ses propos, du rôle symbolique du père. Les premières « relations d’objet » seraient faussées. Il en résulterait une sorte de faille ou de béance dans la personnalité par où s’engouffrera plus tard à l’âge adulte la psychose. Importants sont la notion de « désir » au sens psychanalytique et les mécanismes projectifs à tonalité sexuelle latente. De même, dans la personnalité paranoïaque, l’analyse souligne l’exaltation d’un narcissisme en apparence hypergénital et, en fait, accompagné d’une fixation au stade sadique anal avec de fortes tendances homosexuelles inconscientes. Il est vrai que les relations du paranoïaque avec son entourage sont empreintes de sado-masochisme.

Mais certains écrits psychanalytiques se fondent sur l’intuition, la croyance, le dogme et aboutissent à une sorte de mystique de la psychogenèse. Ces dernières décennies, on a trop négligé les facteurs génétiques héréditaires ou congénitaux, le terrain nerveux, le fonctionnement très particulier des structures cérébrales qui régissent les instincts, l’humeur, les constantes du caractère et de l’affectivité. La distorsion des qualités intellectuelles du paranoïaque mériterait des études à la fois neuropsychologiques et neurophysiologiques, qui seront l’affaire des années à venir. Il serait aussi intéressant d’étudier les facteurs ethniques et socio-culturels. Dans la psychiatrie, en général, un trouble est toujours la résultante d’une conjonction de facteurs biologiques cérébraux, psychodynamiques et sociologiques. Or, de nombreux psychanalystes « tombent en tentation » devant le phénomène paranoïaque, si riche de chatoiements psychologiques.


Évolution

L’évolution et les résultats thérapeutiques, hormis les cas d’attitudes ou de délires paranoïaques aigus, sont médiocres. On ne modifie guère la personnalité paranoïaque. Plus tôt elle s’affirme dans l’enfance et l’adolescence, plus le pronostic est réservé. Néanmoins, une psychothérapie à la fois compréhensive et directive, alliée à une chimiothérapie neurolytique, parvient à adapter les petits paranoïaques à leur milieu. Les grands paranoïaques échappent plus ou moins à un contrôle médical librement consenti et surtout prolongé. Dans les psychoses chroniques paranoïaques, l’hospitalisation, obtenue avec des difficultés variables, parvient à affaiblir les idées délirantes, le nombre des interprétations, les réactions au délire, mais la conviction intime reste souvent intacte. Des préoccupations hypocondriaques tenaces peuvent se substituer au délire initial. Elles sont graves parfois par l’apragmatisme et la désinsertion sociale qu’elles entraînent. Il faut juger des résultats au niveau adaptatif, sans parler de guérison. Chez les sensitifs, le pronostic est meilleur. La souplesse et la tolérance ou, au contraire, la fermeté de l’entourage sont des éléments qui interviennent favorablement ou défavorablement selon les cas sur l’évolution de la psychose. Enfin, certains paranoïaques ont pu bénéficier d’une psychothérapie d’inspiration psychanalytique dans des conditions privilégiées.