Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

Panamá (république de) (suite)

L’histoire


La création

Dès le xvie s., les conquérants espagnols avaient envisagé la possibilité de percer l’isthme qui sépare les deux océans dans la région de l’actuelle république de Panamá. La route transisthmique, périodiquement empruntée et oubliée, connaît le réveil lors de la grande ruée vers l’or californien (1848), le transbordement permettant d’éviter de doubler le cap de Bonne-Espérance. À cette date, l’isthme de Panamá est une province colombienne marquée par l’isolement, la pauvreté et l’existence de tribus indiennes qui ont longuement résisté aux Espagnols, puis à l’acculturation jusqu’à nos jours.

Il y avait dans l’isthme, depuis 1855, un chemin de fer américain reliant Panamá et Colón. Ferdinand de Lesseps*, fort du succès de Suez, obtient de la Colombie* le droit de construire un canal le long de cette voie ferrée. L’endroit semble favorable : l’étroitesse de l’isthme (50 km) s’allie ici à la présence de lacs et d’un cours d’eau, le Chagres. Mais, après neuf années de travaux (1880-1889), la « Compagnie universelle du canal interocéanique » doit déclarer faillite. Lesseps, malgré son grand âge, n’a pas ménagé ses efforts : il a été capable de trouver des capitaux (deux fois la somme demandée par la société), mais il a été la victime des difficultés matérielles plus encore que des mauvaises manœuvres financières. L’ampleur de la tâche a été sous-estimée : on a pensé, à tort, pouvoir construire, comme à Suez, un canal à niveau. Enfin, les fièvres de la forêt vierge ont provoqué la mort de milliers de travailleurs. Le gouvernement français ne peut sauver la Compagnie de la banqueroute et la République manque de sombrer dans les scandales de Panamá (v. art. spécial).

Après cet échec, le canal de Panamá semble condamné, d’autant que les États-Unis ont toujours marqué leur préférence pour le tracé nicaraguayen du fleuve San Juan et du grand lac de Nicaragua. Après la guerre avec l’Espagne (1898), les États-Unis maintenant implantés dans les Caraïbes, maîtres de Cuba et de Porto Rico, changent d’avis ; la proximité des volcans inquiète leur projet de construction d’un canal du Nicaragua (1902 : catastrophe de la montagne Pelée à la Martinique). Ils rachètent à la Compagnie française ses droits pour 40 millions de dollars, obtiennent de la Grande-Bretagne la révision d’un accord gênant passé en 1850 et entreprennent de louer à la Colombie une zone large de 10 milles, le long du futur canal.

La république oligarchique de Colombie sort épuisée de la terrible guerre civile des « mille jours » (1899-1903), si bien qu’elle ne peut s’opposer efficacement aux projets américains. Puisqu’elle refuse d’accorder la concession qui lui est demandée, on s’en passe et, à la fin de 1903, la sécession, puis la proclamation de l’indépendance du Panamá sont choses faites.

Tirant parti d’un réel sentiment régionaliste, sentiment que l’on retrouverait dans n’importe quelle province colombienne à l’époque, et peut-être même dans n’importe quel autre pays latino-américain, les Américains utilisent les services d’un général local et des agents de la Compagnie. L’arrivée opportune d’un cuirassé interdit à la Colombie toute réaction militaire. Le soulèvement éclate le 3 novembre 1903 ; les États-Unis reconnaissent l’indépendance panaméenne le 6, et le 18 un traité est signé avec Philippe Bunau-Varilla, ingénieur-chef de la Compagnie, devenu agent panaméen à Washington. Theodore Roosevelt dira : « J’ai pris la zone du canal et j’ai laissé le Congrès discuter. Pendant que la discussion continue le canal se fait. »

En échange de la concession perpétuelle d’une bande territoriale de 10 miles depuis la capitale jusqu’au principal port atlantique, les États-Unis concèdent au Panamá une redevance annuelle et garantissent son indépendance. Panamá devient ainsi le symbole de la politique appliquée par le président Roosevelt avec une brutale franchise, celle du big stick.


L’essor

Après un travail colossal (quatre fois plus de terre remuée qu’à Suez) précédé de l’assainissement de la zone, les 79,6 km de la voie d’eau sont mis en exploitation en 1914. Depuis, la Compagnie, dont le seul actionnaire est le ministère américain de la Défense, a amorti près de trois fois le capital investi. Les Panaméens bénéficient de la présence du canal et leur pays est le plus riche de l’Amérique centrale. Ils doivent aux Américains la disparition de la malaria et de la fièvre jaune, ainsi que l’existence d’un bon réseau routier. La présence de 60 000 résidents américains dans la zone du canal, qui reste sous la souveraineté américaine, est une bonne affaire pour la comptabilité nationale, même si la population vit encore de l’agriculture dans une proportion de 60 p. 100. Il est certain que les Indiens de l’isthme du Darién ne sont qu’indirectement touchés par l’existence du canal ; pourtant, c’est à lui qu’ils doivent de pouvoir gagner de l’argent à Panamá pour ensuite acheter des bateaux à moteur.

Périodiquement, depuis 1914, le gouvernement panaméen a brandi la menace de nationaliser le canal, pour négocier des conditions plus avantageuses. Le contraste est tel entre les deux partenaires (le Panamá compte 1 300 000 hab.) que l’on hésite à croire au désir profond des hommes politiques panaméens. Jusqu’à un passé récent, ils ont toujours su jusqu’où aller trop loin : ils ont obtenu la révision du traité de 1903 à plusieurs reprises. Si la raison veut que les États-Unis ne doivent point être attaqués de front, le sentiment nationaliste obéit à d’autres pulsions, et de violentes émeutes ont eu lieu pour protester contre la présence américaine en 1959 et surtout en 1964. L’armée américaine a tiré sur la foule, et les relations diplomatiques ont été un temps rompues entre les deux pays.

Les États-Unis se sont jusqu’à présent montrés intraitables, refusant de faire la moindre concession sur le fond du problème et menaçant de court-circuiter le Panamá en construisant un autre canal, plus moderne, plus rentable, au Nicaragua. Cette menace, qui pourrait bien être un jour mise en pratique, n’est pas étrangère à l’agitation politique et à la radicalisation qui marquent depuis 1964 la vie publique du Panamá.