Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Pablo (Luis de)

Compositeur espagnol (Bilbao 1930).


De pair avec son exact contemporain Cristóbal Halffter, il domine l’école espagnole contemporaine. De tempéraments très différents, ces deux maîtres ont réussi à sortir leur pays de l’isolement néo-classique et folklorisant où il végétait depuis les derniers chefs-d’œuvre de Manuel de Falla.

En 1951, une conférence de Jean Étienne Marie sur la musique concrète ouvre au jeune Pablo, alors étudiant au conservatoire de Madrid, un horizon neuf sur les tendances actuelles de la musique, alors inconnues en Espagne. Il étudie les livres de Leibowitz (sur l’école viennoise) et de Messiaen, et, tout en composant ses premières œuvres, fonde le groupe « Tiempo y Música » en 1958. Son premier séjour à Darmstadt date de l’année suivante, et c’est à partir de 1960 environ que sa production, nombreuse et variée, vient s’inscrire au premier rang de l’avant-garde européenne, s’imposant rapidement dans les principaux festivals. En 1965, il fonde à Madrid le groupe « Aléa », organisation de concerts analogue au « Domaine musical » parisien. Tout en poursuivant ses activités de compositeur et de chef d’orchestre, il assure également une classe de composition au conservatoire de Madrid, ville où il dirige d’autre part, depuis 1965, un studio de musique électronique. De multiples voyages et tournées dans le monde entier accroissent le rayonnement de cette personnalité intensément vivante, esprit d’une curiosité et d’une vivacité qui n’ont d’égales que sa fécondité créatrice.

Son biographe Tomás Marco, lui-même le compositeur espagnol le plus remarquable de la jeune génération (né en 1942), distingue dans son évolution cinq phases successives, qu’il intitule « étape préliminaire » (1953-1957), « conquête du langage » (1957-1959), « consolidation du langage » (1960-1964), « époque des Módulos » (1965-1967), enfin « conquête du total sonore », phase du plein épanouissement. Comme la plupart des compositeurs de sa génération, Pablo est passé par l’ascèse du sérialisme pur, fort brève chez lui, dont les Quatre Inventions pour orchestre (1955, révisions en 1960 et 1962) et les Symphonies pour instruments à vent (1954, révision en 1967) demeurent les témoignages les plus importants. Mais dès 1959 (Móvil I pour deux pianos), il entreprend l’exploration des possibilités de la forme ouverte, et ses œuvres suivantes font souvent une place importante à l’élément aléatoire. Radial (1960), pour 24 instruments, premier témoignage de la pleine maturité de style, annonce déjà l’étape des Módulos (I-VI) pour diverses formations. Les modules, dans la terminologie de l’auteur, sont des unités structurelles capables d’une vie autonome autant que de combinaisons avec d’autres éléments dans un cadre formel mobile. L’œuvre récente de Pablo s’est étendue à tous les domaines de forme et d’expression. S’il manie avec une rare maîtrise le grand orchestre, il sert non moins efficacement le piano ou l’orgue. Avec Protocolo et Por diversos motivos, œuvres provocantes et controversées, il a étendu au théâtre sa pensée humaniste et libertaire, voire contestataire. Ses deux animations musico-plastiques réalisées avec son ami le sculpteur José Luis Alexanco ouvrent des perspectives très intéressantes à la musique électro-acoustique associée à l’art visuel. En pleine possession de ses moyens, Pablo poursuit une carrière féconde de créateur et d’animateur, et toute son œuvre témoigne d’une généreuse ouverture sur les réalités de l’humanité d’aujourd’hui, d’un puissant besoin de communication à l’écart de tout dogmatisme. Face à l’art plus austère, plus concentré, plus intériorisé de Cristóbal Halffter, elle incarne l’extraversion propre au tempérament latin et ne cesse de s’enrichir à une cadence rapide.

Les œuvres principales de Luis de Pablo

• théâtre : Protocolo (1968) ; Por diversos motivos (1969-70).

• orchestre : Quatre Inventions (1955-1962) ; Tombeau (1963) ; Módulos II (1966) ; Iniciativas (1966) ; Imaginario II (1967) ; Heterogéneo (1968) ; Quasi una fantasia (1969) ; Je mange, tu manges (1971) ; Oroitaldi (1971-72) ; Éléphants ivres (1973).

• orchestre de chambre : Sinfonías pour vents (1954-1967) ; Radial (1960) ; Polar (1962) ; Módulos I (1965) ; Módulos III (1967) ; Paráfrasis (Módulos VI) (1968) ; Cinque piezas para Miró (1970) ; La libertad sonrí (1971).

• musique de chambre : quatuor (1957) ; Cinq Inventions (1957) ; Prosodia (1962) ; Recíproco (1963) ; Cesuras (1963) ; Ejercicio (Módulos IV) pour quatuor à cordes (1964-1967) ; Imaginario I (clavecin et trois percussions, 1967) ; Pardon (1972).

• instruments solistes : piano : sonate (1958) ; Libro para el pianista (1961) ; Comme d’habitude (1970-71) ; deux pianos : Móvil I (1959) ; Progressus (1959) ; Móvil II (1968) ; flûte : Condicionado (1962) ; orgue : Módulos V (1967).

• musique vocale : Glosa (1961) ; Ein Wort (1965) ; Escena (deux chœurs, cordes, percussions, 1964) ; Yo lo vi (douze voix mixtes, 1970).

• musique électronique : Mitología I (1965) ; We (1970) ; Tamaño natural (1970) ; Soledad interrumpida (avec J. L. Alexanco, 1971) ; Historia natural (avec percussion et J. L. Alexanco, 1972).

H. H.

 Marco, Luis de Pablo (Madrid, 1971).

Pabst (Georg Wilhelm)

Metteur en scène de cinéma allemand d’origine autrichienne (Raudnitz [auj. Roudnice nad Labem, Bohême] 1885 - Vienne 1967).


Après avoir débuté au théâtre comme acteur (de 1905 au début de la Première Guerre mondiale, on le retrouve successivement à Zurich, à Salzbourg, à Berlin et enfin à New York, où il accompagne la troupe de Gustav Amberg), Pabst s’oriente vers le cinéma dès 1921 en travaillant auprès du réalisateur Carl Froelich. Deux années plus tard, il dirige son premier film le Trésor (Der Schatz, 1923), une légende médiévale qui sacrifie au goût expressionniste alors en plein épanouissement. Mais, dès sa seconde expérience la Rue sans joie (Die freudlose Gasse, 1925), où parmi les interprètes principaux on retrouve Asta Nielsen, Werner Krauss et une quasi-débutante nommée Greta Garbo, Pabst change de registre : il aborde avec un réalisme fort audacieux les problèmes relatifs à la misère dans les grandes villes et se fait l’écho du désarroi moral qui semble se généraliser dans une Allemagne en déséquilibre politique et social. Ce nouveau réalisme se veut psychologique, analytique, imprégné de freudisme (les Mystères d’une âme [Geheimnisse einer Seele], 1926). Après Un amour de Jeanne Ney (Die Liebe der Jeanne Ney, 1927), Pabst entreprend ce que certains historiens ont appelé une « trilogie sexuelle » : Crise (Abwege, 1928), Loulou (Die Büchse der Pandora, 1928) et le Journal d’une fille perdue (Das Tagebuch einer Verlorenen, 1929). De cette trilogie se détache Loulou d’après Frank Wedekind, grâce notamment à l’inoubliable interprétation de Louise Brooks. Une nouvelle trilogie, « sociale » cette fois : Quatre de l’infanterie (Westfront 1918, 1930), l’Opéra de quat’ sous (Die Dreigroschenoper, 1931) et la Tragédie de la mine (Kameradschaft, 1931), prouve que Pabst est l’un de ceux qui ont assimilé avec le plus de brio la technique du parlant. Il semble de plus en plus attiré par une sorte de fantastique social particulièrement évident dans son œuvre la plus célèbre, l’Opéra de quat’ sous, à propos de laquelle il déclarera : « Ce film est la stylisation de tous les éléments visuels et sonores d’une réalité très « réaliste », celle des bas-fonds, traités de la manière la moins réaliste qui soit... Le réalisme doit être un tremplin pour rebondir plus loin et ne peut avoir de valeur en soi. Il s’agit de dépasser le réel. Le réalisme est un moyen : ce n’est pas un but, c’est un passage... » L’échec commercial de la Tragédie de la mine eut-il des conséquences néfastes sur la carrière de Pabst ? On serait tenté de le croire, car après 1932, malgré les qualités de l’Atlantide (Die Herrin von Atlantis, 1932) et de Don Quichotte (1933, avec Chaliapine), on ne retrouvera jamais plus le metteur en scène particulièrement inventif et sensible auquel le cinéma allemand devait une part importante de son renom international. C’est en France qu’il tourne en 1933 Du haut en bas, aux États-Unis A Modern Hero (1934), en France de nouveau Mademoiselle Docteur (ou Salonique, nid d’espions, 1937), le Drame de Shanghai (1938) et Jeunes Filles en détresse (1939), films mineurs qui ne valent véritablement que par la qualité de leur « atmosphère et indiquent avec suffisamment de références que Pabst fut l’un des maîtres de la célèbre école réaliste poétique française de l’avant-guerre.