Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
O

Ourarthou ou Ourartou

Royaume de l’Orient ancien (ixe-viie s. av. J.-C.).


Ce nom, qui avait d’abord désigné une région géographique (les monts d’Arménie, où l’Ararat rappelle le terme ancien), a été donné par les Assyriens à un État que ses rois appelaient en réalité Naïri, Biaïni ou Haldi. Centré sur la cuvette du lac de Van, ce royaume s’est rapidement étendu sur quelque 200 000 km2 correspondant aux territoires actuels de la Turquie orientale, de l’Arménie soviétique et de la pointe nord-ouest de l’Iran.


Le grand royaume des montagnes

Dès le xiiie s., les rois assyriens avaient fait campagne contre des ligues de petits États au pays d’Ourouathri et de Naïri. Renouvelées à chaque règne prospère en Assyrie, ces attaques provoquent au ixe s. la formation d’un grand royaume dans ces montagnes situées au nord de la Mésopotamie. En 857, 855, 848 et 843, l’Assyrien Shoulmân-asharêdou III vainc Aramé l’Ourarthéen ; en 831, il attaque Sardouri Ier, qui se dit « fils de Loutipri » (un titre royal, qui était peut-être celui d’Aramé), « roi de l’univers, roi du pays de Naïri, roi des rois », dans les premières inscriptions de son domaine, d’ailleurs rédigées en assyrien et écrites en cunéiformes. Les textes en ourarthéen (on dit aussi haldique ou vannique) — une langue apparentée ou hourrite — et les bilingues apparaissent sous Ishpouini (v. 825-805), fils de Sardouri Ier ; ce roi profite de l’affaiblissement suscité en Assyrie par la guerre civile (828-822) pour étendre sa domination, dans le bassin du lac Rezāyè, au pays de Parsoua (probablement le premier habitat des Perses dans l’Iran occidental). Son fils, Ménoua (v. 805-790), soumet les Mannéens, le principal peuple de la cuvette du Rezāyè, conquiert les pays de l’Euphrate supérieur et impose le tribut au royaume de Melidou, situé à l’ouest de ce fleuve. Argishti Ier (v. 790-765), fils et successeur de Ménoua, étend son royaume en direction du nord, au-delà de la vallée de l’Araxe, jusqu’à la haute Koura et aux lacs Sevan et Çaldir.

L’expansion ourarthéenne se poursuit sous son fils, Sardouri II (v. 765-733), qui impose sa souveraineté aux rois des confins de l’Anatolie, de la Mésopotamie et de la Syrie, tournant ainsi par l’ouest l’Empire assyrien, déjà menacé à l’est par la domination que les souverains du Naïri avaient établie dans le bassin du Rezāyè.

Mais l’Assyrie reprend toute sa vigueur avec le règne de Toukoultiapil-ésharra III, qui chasse Sardouri de la Syrie septentrionale (743) et va même, en 735, l’assiéger dans sa capitale, Toushpa (l’actuelle Van, au sud-est du lac de ce nom). Le fils de Sardouri II, Rousâ Ier (v. 733-714), qui est le principal adversaire de Sargon II d’Assyrie, subit les premières attaques des Cimmériens, cavaliers venus de la Steppe Pontique ; il ne parvient pas à maintenir sa souveraineté sur le pays des Mannéens, et, en 714, l’armée assyrienne vient saccager Moutsatsir (dans la haute vallée du Zāb supérieur), qui est la capitale d’un royaume dépendant du Naïri et qui, avec son temple de Haldi, constitue un lieu saint pour les Ourarthéens. Après la disparition de Rousâ, qui se serait suicidé de désespoir, les rois d’Ourarthou pratiquent une politique prudente, arrêtant les conquêtes dans toutes les directions et renonçant à soutenir les sujets indociles des souverains assyriens.


La civilisation de l’Ourarthou

Les Ourarthéens ont d’un seul coup, au ixe s., beaucoup emprunté à l’Assyrie, mais, sous l’influence de l’isolement dû au climat et au relief et des succès durables d’une dynastie guerrière, ils ont manifesté une certaine originalité et atteint une grande habileté dans la plupart des techniques.

À l’écriture cunéiforme, qui transcrit de l’assyrien et de l’ourarthéen, pour les inscriptions, s’ajoutent, pour les comptes des palais, des hiéroglyphes locaux.

Si le grand dieu hourrite de l’Orage, Teishéba, est bien connu en Naïri, la première place dans le panthéon du royaume revient, et de très loin, à Haldi, dieu de la Guerre, que l’on honore dans des temples à plan carré, à fronton et colonnade sur la façade (comme à Altintepe, à l’est d’Erzincan, Çavuştepe et Toprak kale, l’ancienne Rousâhinili, près de Van).

La grande architecture, qui utilise également pierre, brique crue et bois, est de même représentée par des villes et des citadelles à murs de gros blocs bien taillés, des palais (à Çavuştepe ; Arin-berd, l’ancienne Erebouni, et Karmir-Blour, autrefois Teishébaini, près de l’actuelle Erevan), qui ont parfois une grande salle à rangée de colonnes de bois annonçant l’apadana achéménide.

Les monuments ourarthéens ont livré des œuvres d’un art royal qui manifeste à la fois l’influence assyrienne et l’originalité locale : fresques, reliefs de pierre, bijoux, ivoires, bronzes (figurines ornant les trônes, armes décorées, chaudrons cultuels). Les figurines ornant ces chaudrons (têtes de taureaux ou de lions, hommes ou femmes ailés) ont été répandues et imitées en Phrygie, dans le monde grec et jusqu’en Étrurie, à partir du dernier tiers du viiie s.

Mais le plus grand apport de l’Ourarthou à la civilisation réside peut-être dans l’effort obstiné de ses rois à développer l’irrigation, la culture de la vigne et des arbres fruitiers sur ces hautes terres, à commencer par la région de la capitale, immédiatement à l’est du lac de Van, et à faire connaître les techniques de l’Orient ancien dans les pays qu’ils colonisaient au nord de leur État.


La disparition de l’Ourarthou

L’épuisement de ce royaume, sans doute en proie aux incursions des Cimmériens et des Scythes (autre groupe de cavaliers nomades), se manifeste par la raréfaction des inscriptions au viie s. Nous ne connaissons pas de rois du Naïri postérieurs à Sardouri III, dont le règne a commencé vers 645, et nous ne savons pas si leur État a été ruiné par le roi mède Cyaxare (v. 625-585) ou par ses auxiliaires scythes, probablement peu après la destruction de l’Assyrie (612-609). Au vie s., les hautes terres qui avaient formé le Naïri adoptent la culture des Arméniens, vraisemblablement des nouveaux venus. Les souvenirs de l’Ourarthou survivent encore un temps chez des peuples sujets de l’Empire achéménide (vie - ive s. av. J.-C.) : les Alarodiens (au nord-ouest ou à l’est de l’Arménie), qui garderaient le nom de l’Ourarthou, et les Chaldes (entre l’Euphrate supérieur et la mer Noire), qui conservent le nom du dieu Haldi.