Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Ors y Rovira (Eugenio d’)

Écrivain espagnol (Barcelone 1882 - Villanueva y Geltrú, Barcelone, 1954).


« Malgré une apparence presque scandaleuse, écrit-il en substance dès 1917, je ne me suis pas dispersé, je ne me suis pas égaré ; je n’ai écrit que trois livres, longs comme la vie elle-même : le livre de l’Unité (car un est mon système philosophique : la doctrine de l’intelligence de philosophie de l’homme qui travaille et qui joue) ; le livre de la Variété (dans mon Glossaire je cherche la vérité parmi les choses vécues) ; et le livre de l’Action, que j’écris avec ma chair pour la défense et l’illustration de la Culture, dans l’adoration du soleil des Idées pures. » C’est bien ainsi que se présente l’œuvre d’Eugenio d’Ors : un corps de doctrines en ordre dispersé, un faisceau étroitement lié d’écrits hétéroclites, de gloses, de notes et de commentaires qui annoncent le traité, mais n’y aboutissent pas.

D’Ors est catalan et conscient de son appartenance au monde méditerranéen, celui de Platon et celui de la Rome des papes. Ce sont les mille aspects, déroutants dans leur diversité, d’un monde harmonieux et beau dans son essence qu’il commente dans son Glosario de 1906 à 1920 et, au-delà, dans son Nuevo glosario et son Novísimo glosario. Il donne d’abord ses gloses en catalan dans le quotidien La Veu de Catalunya. Mais, peu à peu, il rectifie sa position. Contre le provincialisme de sa terre natale, il adopte le castillan. Contre cet autre provincialisme à l’échelle nationale qui ressort des ouvrages de la génération dite « de 1898 », il adopte sous le pseudonyme de Xènius une perspective européenne et s’adresse parfois même en français directement à une élite mondiale.

Au Dieu de l’ordre et de la raison, il fait son offrande, La Ben Plantada (1911), un récit où un beau brin de fille, la Catalogne en personne, vit allègre et épanouie, belle dans sa mesure et sa sérénité, belle par son accord intime tout spontané avec les lois et les desseins du Créateur. « Religio est libertas », écrit-il en 1908. Et il reprend ce titre en 1925. Il propose le culte de l’ouvrage bien fait, élaboré dans la foi et le zèle par un artiste savant, venu à son métier par vocation et qui, ayant prononcé ses vœux, exerce sa « profession » avec dévotion et ardeur. Certes, la fabrication rigoureuse d’un objet parfait implique une sorte d’héroïsme. D’Ors tient cet héroïsme pour la réplique de la sainteté dans le domaine profane, pour le tribut de la matière à l’esprit. Aprendizaje y heroísmo date de 1915. Bernard Palissy y apparaît comme le héros et le modèle. Cet artisan potier, ce savant écrivain n’a pu innover que parce qu’il respectait la tradition. Car « ce qui n’est pas tradition n’est que plagiat ».

Toujours certain de détenir la vérité, d’Ors s’oppose à l’anarchie, à la révolution. Il propose un « système », il expose une « doctrine », il impose un « catéchisme », il se pose en dictateur intellectuel. Comme pour arrêter les convulsions d’une société au bord de la guerre civile, il affirme inlassablement : la connaissance du passé nourrit la raison ; la raison engendre l’idée ; l’idée guide la main ; la main crée la forme. Telle est la leçon de Grandeza y servidumbre de la inteligencia (1919). Deux autres œuvres, Théorie des styles et Technique ou Science des formes, montrent que, pour lui, l’art et le métier, la technique et la science sont un. Dès lors, et parce qu’il traite de problèmes universels, son audience devient internationale.

Poussin y el Greco date de 1922. Tres horas en el Museo del Prado (1923) traite sur le plan théorique et sur le plan de la technique picturale des rapports entre le baroque — ce concept relativement neuf — et le classicisme. L’Art de Goya paraît en français en 1928. Deux ans plus tard, d’Ors consacre tout un ouvrage à Picasso, qu’il admire et voudrait remettre dans le droit chemin. C’est bien là qu’apparaissent la limite de sa philosophie de la culture et l’échec de sa trop ambitieuse politique culturelle. Selon lui, Picasso pouvait être le Raphaël de notre temps. Or, Picasso préféra devenir Picasso, joyeux iconoclaste au milieu des décombres du passé, d’Ors ne voulant pas voir que d’autres valeurs que les valeurs traditionnelles se créent dans les marges, qu’une société différente se cherche dans les grandes villes industrielles et qu’un ordre original s’instaure dans le désordre ancien.

Il a exalté l’ouvrage bien fait, fait dans les règles de l’art (du jeu) par « un homme sage qui travaille et qui joue ». Il a donné lui-même l’exemple, dans une œuvre soignée, d’une écriture polie, d’un style lumineux. Le monde nouveau ne répond certes pas à son idéal ; nos sciences et nos techniques modernes n’ont plus rien de commun avec celles qu’il prônait. Mais, à leur insu sans doute, les artistes créateurs de notre temps traduisent et continueront à traduire sa leçon dans leurs mots, leurs couleurs, leur ciment ou leurs carcasses métalliques avec la même foi et, leur tâche terminée, avec le même geste d’offrande.

C. V. A.

 E. d’Ors, Tres horas en el Museo del Prado (Madrid, 1923, nouv. éd., 1952 ; trad. fr. Trois Heures au musée du Prado, Delagrave, 1927, nouv. éd., 1939). / J. L. Aranguren, La filosofia de Eugenio d’Ors (Madrid, 1945).

Ortega y Gasset (José)

Écrivain espagnol (Madrid 1883 - id. 1955).


Fils d’un journaliste influent et réputé, il collabore dès l’âge de vingt ans à l’Imparcial, quotidien madrilène. Toute sa vie, il cherchera l’interlocuteur, lecteur du journal ou auditeur de la salle de cours. Il se met toujours en situation « dans sa circonstance ».

Ortega avait fait des études à Marburg, en Allemagne, auprès des idéalistes néo-kantiens. La réalité ne serait-elle fondée que dans le sujet qui la perçoit et la conçoit ? Ortega interroge là-dessus Cervantès et son chevalier errant, dont les idées sur le monde extérieur avaient fait surgir les plus concrètes des aventures sur les routes poudreuses de la Manche. « Vivre, répondent-ils l’un et l’autre, c’est se révéler à soi-même et dévoiler la face cachée des choses. La réalité est au croisement de l’action et de la croyance. » Les Méditations de Don Quichotte paraissent en 1914.