ornementation (suite)
La technique de « coloration » est aussi usitée en France au xvie s., et, au cours des siècles suivants, elle est utilisée parallèlement à celle des agréments. Elle apparaît notamment dans l’air de cour, dont le second couplet, appelé double, est chanté en diminutions (ex. 2 : double d’un air d’Antoine Boesset [1586-1643] composé par le chanteur Henry Le Bailly). Plus tard, Michel Lambert (v. 1610-1696) fait suivre l’air sérieux d’un « double » (pour le second couplet). Celui-ci, écarté par J.-B. Lully*, qui conserve seulement dans sa musique vocale quelques agréments, se maintient dans la suite de danses de F. Couperin (1er ordre, 1713), de J.-S. Bach (suites anglaises, 1722), de J.-Ph. Rameau* (les Niais de Sologne, v. 1724 ; Gavotte variée, v. 1728) et de leurs contemporains.
L’ornementation, en vertu de son principe, est à l’origine — la Gavotte variée de Rameau a six doubles — de la forme de la variation, fondée sur la répétition d’un air dont on altère chaque fois non seulement le rythme, la mesure, parfois le mode, le ton et l’harmonie, mais aussi le dessin mélodique. Dans les autres formes classiques (fugue, sonate, symphonie), elle devient également, à partir d’un ou de plusieurs thèmes, un procédé de développement.
Vers la fin du xviiie s., l’art d’improviser, que l’on pratique dans les opéras de Gluck* et de Mozart*, se limite de plus en plus aux agréments et aux cadences. Mais, au début du xixe s., le chanteur est encore autorisé à ajouter maintes fioritures et à s’imposer, pour son succès, d’extravagantes performances. C’est pour combattre ces abus que G. Rossini* (1792-1868) se décide à bannir les vocalises, abandonnées jusque-là au caprice et au mauvais goût du virtuose, et exige, après la composition de son opéra Elisabetta, regina d’Inghilterra (1815), le respect absolu des agréments, qu’il a pris soin d’écrire in extenso. Vers le même temps, d’autres musiciens s’engagent dans cette voie. On imagine mal un pianiste qui oserait modifier par quelque intervention personnelle les idées mélodiques, si raffinées sous le rapport de la figuration, de Frédéric Chopin* (1810-1849). L’ornementation a dans l’œuvre du compositeur une importance sans précédent, car elle revêt un caractère totalement neuf. À inverse des ornements classiques, étroitement serrés autour de la note à broder, les siens se meuvent d’un élan rapide et souple, et se présentent sous l’aspect d’une multitude de traits étonnamment divers, sans jamais interrompre le déroulement de la mélodie, avec laquelle ils font corps. Nul mieux que Chopin n’a excellé dans l’art d’orner, sans jamais distraire l’auditeur de l’essentiel (par exemple dans le nocturne en ut dièse mineur) : la ligne mélodique et l’expression. D’autres s’y essaieront, comme F. Liszt*, Niccolo Paganini (1782-1840), mais avec moins de bonheur. Après Chopin, l’interprète honnête ne pourra que se conformer rigoureusement à ce que l’artiste créateur a lui-même noté.
A. V.
E. Dannreuther, Musical Ornementation (Londres, 1893-1895 ; 2 vol.). / H. Goldschmidt, Die Lehre von der vokalen Ornamentik (Charlottenburg, 1907). / W. Landowska, Musique ancienne (Mercure de France, 1909 ; 4e éd., Sénart, 1921). / A. Dolmetsch, The Interpretation of the Music of the XVIIth and XVIIIth Centuries (Londres, 1915 ; nouv. éd., 1946). / P. Brunold, Traité des signes et agréments employés par les clavecinistes français des xviie et xviiie s. (Éd. musicales Janin, Lyon, 1925). / E. Barrel, l’Interprétation de la musique française de Lully à la Révolution (Alcan, 1934). / E. T. Ferand, Die Improvisation in der Musik (Zurich, 1938) ; Die Improvisation in Beispielen (Cologne, 1956). / H. P. Schmitz, Die Kunst der Verzierung im 18. Jahrhundert (Cassel, 1955).