Dictionnaire de la danse 1999Éd. 1999
B

Ballets Russes (les) : l'héritage. (suite)

Perpétuer l'esprit qu'insufflait Diaghilev à la création se révèle plus difficile. R. *Blum s'y essaye, invitant A. *Benois, É. de *Beaumont, C. *Bérard, A. *Derain, R. *Dufy, André Masson à réaliser décors et costumes. De même, le colonel de *Basil sollicite C. *Beaton, N. *Gontcharova, G. *De Chirico et P. *Tchelitchev, tandis que le marquis de Cuevas engage L. *Fini et S. *Dalí. Du point de vue musical, les commandes se raréfient au profit d'une exploitation de l'immense répertoire classique. Se contentant de vivre sur l'élan donné par Diaghilev, les directeurs de compagnie ne réussissent pas à lui être totalement fidèles dans la mesure où aucun ne possède son extraordinaire sens de l'innovation qui a bouleversé la sensibilité occidentale en matière de ballet.

NL

Ballets Russes de Diaghilev.

Compagnie de danse itinérante, fondée en 1909 et dissoute en 1929.

Née de la volonté de S. *Diaghilev de présenter à Paris l'art chorégraphique de son pays, elle est d'abord constituée de quelques-uns des meilleurs danseurs du *Mariinski. La première Saison de ballets russes a lieu au théâtre du Châtelet (18 mai-18 juin 1909). Diaghilev renouvelle l'expérience en mai-juin 1910, puis coupe les liens avec le Ballet Impérial en 1911, baptisant officiellement la compagnie à laquelle il associe son nom. Troupe privée, elle a pour principaux points d'ancrage Monte-Carlo, Paris et Londres mais n'est attachée à aucun théâtre. Elle tourne toute l'année en Europe, excepté en Russie, et à partir de 1913 en Amérique du Sud puis de 1916 aux États-Unis. Après une période d'activités ralenties durant la première guerre mondiale, elle continue de se produire avec succès jusqu'au 4 août 1929 à Vichy. Malgré les tentatives de S. *Lifar et B. *Kochno, elle ne survit pas à la mort de son fondateur et animateur.

M. *Fokine (1909-1912 et 1914), V. *Nijinski (1913), L. *Massine (1915-1920 et 1925-1928), B. *Nijinska (1922-1926) et G. *Balanchine (1926-1929) se succèdent comme chorégraphes de la compagnie dont S. *Grigoriev est le régisseur. Entraînés par E. *Cecchetti, les danseurs à l'origine sont russes et principalement formés à l'École de *Saint-Pétersbourg. La guerre et la révolution bolchevique obligent Diaghilev à recruter plus largement. Une foule de solistes font carrière plus ou moins longuement au sein de la troupe : A. *Bolm, A. *Danilova, A. *Dolin, F. * Doubrovska, S. *Idzikowski, T. *Karsavina, S. Lifar, L. *Lopoukhova, M. *Mordkin, A. *Nikitina, V. *Nemtchinova, L. *Novikov, A. *Pavlova, M. *Pilz, I. *Rubinstein, M. *Rambert, L. *Schollar, L. *Sokolova, O. Spessivtseva, *L. *Tchernitcheva, N. de *Valois, A. *Vilzac, P. *Vladimirov, A. *Volinine, L. *Woïtzikowski, N. *Zverev.

Dans sa quête d'unité entre toutes les composantes du spectacle, Diaghilev engage de nombreux artistes qui offrent un écrin éclatant à la danse. Il sollicite pour la musique des compositeurs reconnus (C. *Debussy, M. *Ravel, S. *Prokofiev, R. *Strauss) comme des débutants (G. *Auric, M. de *Falla, D. *Milhaud, F. *Poulenc, V. *Rieti, H. *Sauguet) ; I. *Stravinski compose à sa demande plusieurs de ses œuvres majeures. En matière de scénographie, Diaghilev privilégie dans un premier temps L. *Bakst et A. *Benois, puis passe commande de décors, costumes et rideaux de scène à de nombreux plasticiens : Georges Braque, G. *De Chirico, A. *Derain, Max Ernst, Naum Gabo, N. *Gontcharova, J. *Gris, M. *Laurencin, M. *Larionov, H. *Matisse, Joan Miró, Anton Pevsner, P. *Picasso, P. *Pruna, Nicolas Roerich, Georges Rouault, Maurice Utrillo et Gueorgui Yakoulov. Il met aussi à contributions ses amis Coco Chanel (costumes) et J. *Cocteau (affiches, livrets).

En vingt ans, la compagnie crée une soixantaine d'œuvres où la tradition côtoie les plus audacieuses innovations. Elle réintroduit *Giselle (1910) en Europe occidentale, présente pour la première fois hors de Russie des chorégraphies de M. *Petipa (le *Lac des cygnes, 1911 et 1924 ; la *Belle au bois dormant, 1921 et 1922), tandis que les premiers ballets de Fokine témoignent d'un héritage classique vivifié (le Pavillon d'*Armide, 1909 ; les *Sylphides, 19XX). La veine folklorique, constitue l'essentiel du fonds thématique des productions. Coutumes, légendes et contes, russes pour la plupart, offrent des sources inédites (les *Danses polovtsiennes du Prince Igor ; l'*Oiseau de feu ; Thamar, 1912 ; le *Sacre du printemps ; *Till Eulenspiegel ; *Renard ; les *Noces ; *Petrouchka ; Soleil de nuit, 1915 ; le Chout, 1921). Les chatoiements de l'Orient et de l'Extrême-Orient inspirent *Schéhérazade, le *Dieu bleu et le Chant du rossignol (1920) alors que le goût de Diaghilev pour l'Espagne transparaît dans Las Meninas (1916), le *Tricorne et Cuadro flamenco (1921). La commedia dell'arte nourrit *Carnaval et *Pulcinella, l'univers de Goldoni égaye les Femmes de bonne humeur (1917) et une comptine italienne donne vie à Barabau (1925). Les sujets puisés dans la Bible (la *Légende de Joseph ; le *Fils prodigue) et dans la culture antique (Cléopâtre, 1909 ; Narcisse, 1911 ; l'*Après-midi d'un faune ; *Daphnis et Chloé ; Zéphire et Flore, 1925) sont aussi très prisés. Le fantastique poétique s'exprime dans l'enivrante apparition du *Spectre de la rose, comme dans les évolutions sous-marines de Sadko (1911), du Triomphe de Neptune (1927) ou celles des poupées et pantins animés de la Boutique fantasque (1919) et de Jack in the Box (1926). Rares sont les adaptations dramatiques (les Fâcheux, 1924 ; *Roméo et Juliette, 1926). La vie quotidienne devient sujet de ballet : les mœurs et distractions de la jeunesse dorée font naître *Jeux, les *Biches et le *Train bleu, cependant que le tournage d'un film par une équipe de cinéma est au centre de Pastorale (1926). Plus étonnant est l'hymne au travail en usine et au régime soviétique du *Pas d'acier (1927). Après 1915, Diaghilev encourage les créations expérimentales, notamment dans leur conception scénographique : *Parade, la Chatte (décor *constructiviste et costumes en matière plastique, 1927) et *Ode (éclairage au néon, costumes phosphorescents et projections cinématographiques) en sont des exemples marquants. Une quinzaine de ces créations dans leur version d'origine figurent toujours au répertoire de nombreuses compagnies.